Madagascar-France.Voltaire a encore et toujours raison

Samedi, 26 Octobre 2019 06:05 A la une
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La politique est le moyen pour des hommes sans principe de diriger des hommes sans mémoire”. Cette sentence implacable est de l'écrivain et philosophe français François-Marie Arouet, dit Voltaire, né le 21 novembre 1694 à Paris et mort dans la même ville le 30 mai 1778. Mais à qui diable s'applique-t-elle en ce mois d'octobre 2019 dans les relations entre Madagascar et la France, et, de manière plus large encore, du côté d'opposants qui s'opposent à tout, histoire de s'opposer c'est tout ?

Le mercredi 23 octobre 2019, jour où j'assistais aux obsèques de Fafah, chanteur inoubliable du groupe Mahaleo, Emmanuel Macron, Président de la république française s'était pavané sur la plage de la Grande Glorieuse, dans l'océan Indien. Il n'y a rien de mal à cela, si ce n'est qu'il a déclaré des trucs qui prouvent la véracité de la profonde pensée de son compatriote Voltaire, cité plus haut: «Ici c’est la France, c’est notre fierté, notre richesse. Ce n’est pas une idée creuse. Les scientifiques et militaires qui sont là le rappellent. La France est un pays archipel, un pays monde […]». Eh ben dites donc, il n'a pas froid aux yeux l'Emmanuel car lorsqu'il avait reçu à l'Elysée, le Président de Madagascar, Andry Rajoelina, le 29 mai 2019, il avait annoncé “un dialogue pour aboutir à une solution commune”. De quoi parle-t-on exactement (vous) demanderez-vous? Allons-y alors.

La Grande Glorieuse fait partie des îles Glorieuses qui font, elles-mêmes, partie des quatre îles malagasy (exit le terme “îles éparses”!) parsemées dans le canal du Mozambique avec Europa, Bassas da India et Juan de Nova. Il faut que vous sachiez que juste avant le retour de l'Indépendance de Madagascar, devenue une république le 14 octobre 1958, le Général de Gaulle, alors président français, avait simplement et purement décrété ce qui suit :

Décret n° 60-555 du 1er avril 1960 relatif à la situation administrative de certaines îles relevant de la souveraineté de la France

Le président de la République,

Sur le rapport du Premier ministre et du ministre d’État,

Vu la Constitution ;

Vu l'acte du 23 août 1892 portant prise de possession, au nom de la France, des îles Glorieuses ;

Vu la prise de possession, au nom de la France, des îles Juan de Nova, Europa et Bassas da India en octobre 1897,

Article 1

Les îles Tromelin, Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India sont placées sous l'autorité du ministre chargé des départements d'outre-mer et des territoires d'outre-mer.

Article 2

Ce ministre peut confier leur administration à l'un des fonctionnaires relevant de son département.

Article 3

Sont abrogées toutes dispositions antérieures contraires à celles du présent décret.

Article 4

Le premier ministre et le ministre d'Etat chargé du Sahara, des départements d'outre-mer et des territoires d'outre-mer sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

Par le président de la République : CHARLES DE GAULLE

Le Premier ministre, MICHEL DEBRÉ

Le ministre d'Etat, ROBERT LECOURT

Si donc, la prise de possession de ces cinq îles, s'est faite en octobre 1897, que signifie alors le mot “INDEPENDANCE” recouvrée par la colonie française de Madagascar le 26 juin 1960? Et nous sommes entrés de plain pied dans les fourberies de Scapin... Et le temps a passé, l'amnésie a semblé s'installer. Puis, le 5 octobre 1972, à la tribune de l’ONU à New York, le Capitaine de frégate Didier Ratsiraka, alors ministre des Affaires étrangères du gouvernement de transition dirigé par le Général Gabriel Ramanantsoa, avait déclaré : « Madagascar est un pays fier de son passé, de ses coutumes, et de ses traditions! Une nation travaillant dans l'exaltation de la lutte présente contre le sous-développement, l'injustice, et la pauvreté ! Un peuple, enfin, déterminé à affirmer son identité, sa personnalité et sa souveraineté face à l'avenir !».

Lors de la révision des accords de coopérations franco-malgache, en 1973, C’est le même Didier Ratsiraka qui, pour la première fois, avait revendiqué les «îles éparses». Et le chef de l’état et de gouvernement de l’époque, le Général Ramanantsoa, avait alors publié une ordonnance en ce sens :

REPOBLIKAN'I MADAGASIKARA

Tanindrazana-Fahafahana-Fandrosoana

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PRESIDENCE

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ORDONNANCE N° 73-060 fixant les limites de la mer territoriale et du plateau continental de la République Malgache

Le général de division Gabriel Ramanantsoa, Chef du Gouvernement,

- Vu la loi constitutionnelle du 7 novembre 1972,

- Vu l'ordonnance n° 60-047 du 15 juin 1960 modifiée et complétée par l'ordonnance n° 62-012 du 10 août 1962 et la loi n° 66-007 du 5 juillet 1966 portant Code maritime et notamment l'article 1-2-01,

- Vu la loi n° 70-016 du 15 juillet 1970 portant réglementation maritime des installations et autres dispositifs sur le plateau continental,

- Vu le décret n° 63-131 du 27 février 1963 fixant la limite de la mer territoriale de la République Malgache,

- Vu la décision n° 63-CSI/D du 12 septembre 1973 du Conseil supérieur des institutions,

En conseil des Ministres, le 31 août 1973,

Ordonne:

Article premier. La mer territoriale de la République Malgache s'étend jusqu'à une limite fixée à cinquante (50) milles marins à partir des lignes de base.

Article 2. Le "plateau continental" de la République Malgache (zone économique exclusive) s'étend jusqu'à une limite fixée à cent (100) milles marins au-delà de sa mer territoriale.

Toutefois, et sauf convention particulière, le plateau continental malgache ne s'étend pas au-delà d'une ligne médiane dont tous les points sont équidistants des points les plus proches des lignes de base des côtes malgaches et des côtes des Etats qui lui font face.

L’expression "plateau continental" désigne le lit de la mer et le sous-sol des régions sous-marines adjacentes aux côtes malgaches situés au-delà de la mer territoriale de la République Malgache.

Article 3. Les lignes de base à partir des quelles est mesurée la largeur de la mer territoriale sont fixées par décret.

Article 4. Toutes dispositions contraires à celles de la présente ordonnance sont abrogées, et notamment:

Le 2° alinéa de l'article 1-2-01 de l'annexe 2 de la loi n° 66-007 du 5 juillet 1966 portant Code maritime;

L'article premier du décret n° 63-131 du 27 février 1963

Article 5. La présente ordonnance sera publiée au Journal Officiel de la République.

Elle sera exécutée comme loi de l'Etat.

Promulguée à Tananarive, le 28 septembre 1973.

Gabriel RAMANANTSOA

Chef du Gouvernement:

Le Général de Brigade Gilles ANDRIAMAHAZO

Ministre de l'Aménagement du Territoire

Mais le 18 novembre 1975, le Préfet de la Réunion, au nom du gouvernement français, publie un arrêté qui classe quatre îles Éparses comme réserves naturelles intégrales. Puis, il publie un autre arrêté, le 15 février 1994, interdisant la pêche à l’intérieur des eaux territoriales de ces îles. Bien que Juan de Nova ne figure pas sur la liste des îles concernées par l’arrêté préfectoral, cette décision a été prise suite à l’intention de Didier Ratsiraka devenu président, d’installer les troupes malagasy à Juan de Nova, après s’y être rendu à bord du navire malagasy «Mailaka».

Cependant, le 12 décembre 1979, l’Assemblée générale des Nations unies avait adopté une résolution ordonnant la France à restituer les îles Éparses à Madagascar. L'article 3 est plus qu'explicite : L'Assemblée générale invite le gouvernement français à entamer sans plus tarder des négociations avec le gouvernement malgache en vue de la réintégration des îles précitées, qui ont été séparées arbitrairement de Madagascar.

Hélas, mille fois hélas, depuis bientôt vingt ans, dans deux mois, la “Question des îles malgaches Glorieuse, Juan de Nova, Europa”, est restée inscrite à l'ordre du jour provisoire sans jamais être traitée par les gouvernements malagasy et français.

En 1999, le président Jacques Chirac, qui vient de nous quitter, avait évoqué, pour la première fois les “iles éparses”, avec l’idée d’une co-gestion. Mais elle concernait l’île Tromelin et la république de Maurice. Pour Madagascar, tout semblait avoir être rangé dans le placard de l'amnésie. Soudain, sans crier gare façon De Gaulle, la France, par la loi 2007-224 du 21 février 2007, a rattaché unilatéralement les “îles éparses” et Tromelin aux Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF). De quoi être le motif d’une guerre comme pour les îles Malouines. Non? Mais le peuple malagasy est un peuple pacifique et surtout ignorant des enjeux véritables… Des hommes sans mémoire.

Le clou est enfoncé, par la nouvelle ambassadrice de France, Véronique Vouland-Aneini qui vient d'achever son mandat très “voltairien”. En effet, le 19 octobre 2015, à l'Hôtel de ville d'Antananarivo en plus, elle avait déclaré avec assurance : «Les îles éparses appartiennent à la France». Certainement “convaincu” (qu'on peut aussi prend en deux mots ici), le régime Rajaonarimampianina/Hvm n'a pas bougé le moindre doigt de pieds, amnésique à la résolution de l'ONU de 1979. Mieux, ou pire, Hery Rajaonarimampianina a remis sur le tapis, avec François Hollande, cette histoire de co-gestion. De quoi être congestionné. Non?


Mais, durant cinq ans, rien n'a bougé si ce n'est qu'en octobre 2015, le peuple malagasy -et le monde entier- a appris avec stupeur que les “sociétés South Atlantic petroleum (Sapetro) et Marex petroleum prospectent les eaux de Juan de Nova, l’îlot corallien français des îles Éparses, situé dans le canal du Mozambique. Les deux compagnies pétrolières, nigériane et américaine, ont contraint le ministère de l’Écologie -dirigé alors par Ségolène Royal- à leur livrer la réponse attendue depuis deux ans sur le renouvellement de leur permis exclusif de recherche d’hydrocarbures dans une poche de 52.000 km² entre les côtes africaines et Madagascar”. Il faut savoir que le ministère français de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire avait publié l'arrêté du 22 novembre 2008, accordant un permis de recherches de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux, dit “Permis de Juan de Nova Est”, au large des côtes de l'île de Juan de Nova (TAAF), aux sociétés Nighthawk Energy Pic, Jupiter Petroleum Ltd et Osceola Hydrocarbons Ltd, conjointes et solidaires.

Encore plus stupéfiant et toujours rapporté par “le marin.ouest-france”, en ce mois d'octobre 2015 : “Les compagnies, qui craignaient de voir remis en concurrence un permis de recherche pour lequel elles ont déjà investi 63 millions d’euros, ont expliqué à l’audience du tribunal administratif qu’elles souhaitaient désormais forer pour vérifier l’existence d’une poche qui pourrait contenir des milliards de barils équivalent pétrole, soit près de « dix années de consommation française », selon leur avocat. Sapetro et Marex disent ainsi vouloir investir 54 millions d’euros supplémentaires”. Une histoire de très gros sous! Et tout cela sur le dos des pauvres (dans tous les sens du terme) malagasy.

Pour en revenir au Palais de l’Élysée, le 29 mai 2019, le président Andry Rajoelina a solennellement et officiellement demandé au président Emmanuel Macron, de trouver une solution pour la gestion ou la restitution des Îles Éparses à la Grande île. «Je vous la demande en mon nom personnel et au nom des 25 millions de Malagasy», avait-il dit lors du point de presse organisé au sortir de leur entretien à huis clos. Le président français, à ce moment, avait exprimé sa volonté d’établir un partenariat, un vrai dialogue, un travail politique pour aboutir à une solution commune. Il avait même dévoilé que son homologue malagasy et lui avaient «décidé ensemble que c’était un sujet qui méritait mieux que les recours juridictionnels, les contentieux et mauvais débats souvent instrumentalisés par ceux qui ne veulent ni le développement ni la paix. Nous voulons le développement de la relation entre les deux pays et la paix». Après avoir entendu ses déclarations le 23 octobre dernier sur l'île de Grande Glorieuse, nous sommes bien en droit de reconnaître qu'il y a du De Gaulle tout craché dans sa mise en scène de nouveau conquérant sinon de nouveau colonisateur, n'ayons plus peur des mots!


Le réaction du président Andry Rajoelina a été simple, logique et limpide, à travers son compte Twitter, le 24 octobre 2019, à l'adresse du peuple malagasy : “Madagascar est le sanctuaire de la biodiversité mondiale. Le respect de l’intégrité territoriale & la défense de nos intérêts passent par le dialogue. Une commission mixte sur les îles éparses sera en place le 18/11. Ayez confiance en notre détermination & notre patriotisme !”.

Pour rejoindre la pensée de Voltaire et clore ce dossier, sachez que dans la vie, il existe deux types de voleurs :

1. Le voleur ordinaire : c’est celui qui vous vole votre argent, votre portefeuille, votre vélo, votre parapluie, etc...

2. Le voleur politique : c’est celui qui vous vole votre avenir, vos rêves, votre savoir, votre salaire, votre éducation, votre santé, votre force, votre sourire, etc...

Les deux grandes différences entre ces deux types de voleurs :

1. Si le voleur ordinaire vous choisit pour vous voler votre bien, le voleur politique, lui, c’est vous qui le choisissez pour qu’il vous vole.

2. Si le voleur ordinaire est traqué par la police, le voleur politique, lui, est le plus souvent protégé par une escorte de police.

A présent, qui se sent morveux se mouche mais Voltaire a encore et toujours raison.

Jeannot Ramambazafy - Dossier également publié dans "La Gazette de la Grande île" du samedi 26 octobre 2019

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Mis à jour ( Samedi, 26 Octobre 2019 15:00 )