Le régime Rajaonarimampianaina à mi-parcours
Le président Hery Rajaonarimampianina est à mi-parcours de son mandat. Avec le soutien de ses partisans, il se prévaut toujours d’avoir été élu démocratiquement, tout comme les députés, une partie des sénateurs et les responsables actuels des communes. Et c’est vrai. Formellement. Pourtant, en dépit des sorties médiatiques des tenants du pouvoir pour défendre les actions de l’État, une évaluation plus objective s’impose.
Un premier constat concerne les domaines social et économique : même si quelques timides efforts ont été faits, le bilan du régime est loin d’être probant, malgré les promesses et les gesticulations. Le pouvoir d’achat de la majorité se dégrade continuellement et les inégalités se creusent encore. Les puissants et les riches se font soigner à l’extérieur, alors que les fameux hôpitaux manara-penitra sont en train de se dégrader et qu’une politique réaliste d’approvisionnement en médicaments fait cruellement défaut.
Les investissements privés et les Investissements directs étrangers (IDE) se font rares[1], alors que le chômage et le sous-emploi, notamment des jeunes, n’arrêtent pas de progresser. Les seuls investissements publics d’envergure concernent le Sommet de la francophonie et sont concentrés dans la partie nord de la capitale. Les autres régions n’en tirent aucun avantage.
En matière d’énergie, la Lettre de Politique Énergétique 2015-2030 a été publiée en grande pompe. Une année plus tard, on n’en voit ni la stratégie d’application ni le début de mise en œuvre : on se fourvoie encore dans les pratiques mafieuses et les solutions à court terme.
Une loi sur le Partenariat Public Privé a été votée : elle contourne les dispositions des règles de passation des marchés publics et ne fait que renforcer la concentration des pouvoirs au niveau de la présidence. L’Agence Malgache de Développement économique et de Promotion des entreprises (AMDP), dont la création a été annoncée récemment à Paris, va aussi dans ce sens.
Un second aspect du bilan de mi-parcours du mandat présidentiel se résume à deux plaies toujours ouvertes :
- La première, sur laquelle le SeFaFi s’est déjà longuement exprimé, touche à la généralisation de la corruption dans tous les secteurs de la vie nationale. Les remèdes y afférant relèvent toujours de l’ordre de l’incantation.
- La seconde est une insécurité aux multiples facettes.
L’insécurité physique de la population, victime de vols, d’agressions, de kidnappings et de meurtres dans les villes comme dans les campagnes. Cette réalité se double depuis peu d’actions illégales perpétrées par des forces de l’ordre sans mandat ni justification, et non sans bavures, dont les auteurs sont toujours couverts par leur hiérarchie.
L’insécurité alimentaire, surtout dans les régions du sud, dont sont victimes des centaines de milliers de concitoyens. Si les ONG et certains PTF (Partenaires techniques et financiers) s’en émeuvent, on attend toujours des mesures d’assistance crédibles de la part de l’État en faveur des victimes, et des plans de développement durables pour les régions concernées.
L’insécurité juridique, qui s’épanouit en particulier dans les tribunaux où les droits sont systématiquement bafoués par le pouvoir de l’argent. Il en va de même pour les questions foncières, où des citadins se voient déposséder de leurs terrains du jour au lendemain ou expropriés en toute illégalité, et où des campagnards n’ont aucun recours pour faire valoir leurs droits ancestraux face aux incursions des grandes sociétés minières ou agricoles.
Pour ce qui est du fonctionnement institutionnel, la démocratie n’est qu’un slogan. Tout se décide en haut lieu et le plus souvent par une seule personne avec un semblant de dialogue et de concertation.
Les institutions censées jouer le rôle de contre-pouvoir se détournent de leurs véritables missions. L’Assemblée nationale se fait plutôt l’avocat de l’exécutif, si elle ne se vend au plus offrant, et souffle ainsi le chaud et le froid. Considérée comme le quatrième pouvoir, la presse ne sera plus en mesure d’informer le public, avec le nouveau code de la communication, notamment sur les dérives ou les malversations.
La décentralisation marche à reculons et l’on ne semble pas déterminé à avancer dans sa mise en place effective. À preuve, même les dates des élections régionales et provinciales ne sont pas encore connues. La part des CTD (Collectivités territoriales décentralisées) est passée de 5% à 1% du budget de l’État. Quant à la réconciliation, on en parle, mais sans aller au fond des choses. Le Conseil du fampihavanana n’a pas encore vu le jour jusqu’à maintenant.
En matière de diplomatie, malgré les incessants déplacements à l’extérieur, malgré l’accueil très controversé de sommets dispendieux, malgré les très prudents soutiens des partenaires techniques et financiers, force est de constater qu’il n’existe pas actuellement de véritable orientation stratégique. À titre d’exemple, la participation récente du président de la République au sommet de la TICAD (Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique), qui s’est tenue au Kenya, ne donne aucune indication sur la place réservée à Madagascar aux investissements japonais sur le continent africain. Outre la réalisation d’Ambatovy à fonds majoritairement japonais et les travaux d’extension du port de Toamasina avec la coopération japonaise prévus démarrer cette année, quels autres projets le Président a-t-il soumis à Nairobi, à cette troisième puissance économique mondiale ?
Par ailleurs, l’absence de toute nomination d’ambassadeur depuis 2009, alors que les postes sont vacants au Japon, aux États-Unis, en France, à l’Union européenne et en Afrique du Sud, prouve non seulement le manque de détermination à concrétiser la coopération avec ces centres économiques et diplomatiques, mais laisse entrevoir une tendance troublante de centralisation extrême de la diplomatie au niveau du seul président de la République.
Le constat final est simple : on vit sous le joug d’un présidentialisme fort, à peine déguisé, qui va à l’encontre de la Constitution et favorise l’instabilité à tous les niveaux dans le pays. Le président de la République s’ingère dans tous les secteurs, faisant fi des attributions des départements ministériels et des procédures, s’arrogeant le droit de déterminer – seul – les priorités, aux dépens de la population et de l’économie.
Cette attitude divise au sein même du gouvernement et ouvre un peu plus la brèche aux pseudos opposants, avides de pouvoir, qui parlent non pas au nom de l’intérêt général, mais pour assurer leurs arrières ou préparer leur avenir politique.
Dans ce climat délétère, la paupérisation et les souffrances continues de la population sont tout simplement ignorées par les politiciens. De ce fait, nous avons reculé, et le bilan à mi-parcours du mandat présidentiel est négatif. Il est temps pour nos dirigeants de multiplier les efforts et de redresser les torts auxquels ils ont eux-mêmes contribués. Car la situation présente est dramatique et il faut arrêter de nous mentir.
Antananarivo, 17 septembre 2016