Monsieur le citoyen-ministre Rakotovao Rivo, gonflé d'orgueil très mal placé
« Diffamation et publication de nouvelles sans preuve ». Voilà de quoi sont accusés Jean-Luc Rahaga, Directeur de publication du quotidien Madagascar Matin ainsi que son rédacteur en chef. Qui croupissent en prison au moment où je rédige cet article. De quoi s’agit-il réellement ?
Simple convocation anodine qui mène directement en prison le jour même
En fait, l’article incriminé est paru dans ce quotidien, le samedi 12 juillet 2014, dans la rubrique « Courrier des lecteurs » sous le titre « Les Messieurs du Bois de Rose ». Son auteur, qui n’est pas journaliste, a signé sous le nom de Mirado Rasolofomanana, sociologue. Il n’est donc pas journalistes mais a usé de sa liberté d’expression. Plusieurs personnalités sont citées dans cet article mais il n’y avait vraiment pas de quoi en faire un plat. Par ailleurs, les gens rationnels et qui ont la conscience tranquille ont des réactions logiques et saines. Dans la profession journalistique, cela commence, avant toute chose, par un droit de réponse dans les 24 heures suivant la parution.
Pas de panique Jean Luc: les dirigeants ne font jamais que passer. Nous, les journalistes nous serons toujours présents
Mais voilà , le citoyen Rivo Rakotovao, super ministre du régime Rajaonarimampianina de surcroît, vient d’apport quelque chose de vraiment nouveau (« vaovao ») dans le monde journalistique à Madagascar. Se sentant piqué par son orgueil (le grand péché qui perd tous les hommes), voilà qu’il a porté plainte contre le quotidien, support de cette forme première de la démocratie qu’est la liberté d’expression. Ce 21 juillet 2014, Jean Luc Rahaga, Directeur de publication de Madagascar Matin est auditionné par la section criminelle de la Gendarmerie nationale à Fiadanana. Il est immédiatement déféré au parquet puis placé sous mandat de dépôt sans aucune possibilité pour attendre son procès auprès de sa famille. Comme si c’était un dahalo qui allait s’enfuir.
Lalatiana Rakotondrazafy, venue supporter Jean Luc Rahaga, au nom du Syndicat des Journalistes de Madagascar
L’argumentation du citoyen Rivo Rakotovao, devenu ministre par la grâce de son grand ami Hery Rajaonarimampianina s’apparente tout simplement à un abus de pouvoir. Ci-après la transcription de ses déclarations en malgache au sujet de sa plainte, suivie de sa traduction en français.
« Fantatrareo, fantatro fa izany no tianareo hanontaniana. Izaho izao dia nametraka mihitsy fitoriana, aminy maha Rakotovao Rivo ahy. Voatohitohina ny maha-olona ahy. Fa ahoana no lazainao ao amin’ny gazety fa mpangalatra. Ataoko fa tsy izany kosa ny demokrasia, tsy izany ny fahalalahan’ny mpanao gazety. Raha ohatra any amin’ny fitsarana mieritreritra fa manana ny fahadisoana aho, hajaiko ny fitsarana. Tsisy olana mihitsy izany. Fa mieritreritra aho fa zoko ilay izy, amin’ny maha-olona ahy no kitikitian’ilay olona,ary ny maha-minisitra ahy mbola zavatra hafa izany ; fa ny maha-olona ahy, ny nitezaina ahy no ataon’ilay olona tsinontsinona, no ny hevitra tsy mitovy, izany kosa fiainako izany, na minisitra na tsy minisitra kosa tsy ekeko izany. Mety ho diso ahy, mety hitsara afa ny tribonaly fa fahefana samihafa io. Raha mieritreritra izy fa an an tsy ampy izany Monsieur Rakotovao Rivo, tsy azonao henjehina ohatra’izany ny karazan’olona ohatr’izany, izay izany ny lalà na eto amintsika. Fa mieritreritra izahay fa mba tsy izay ary mino aho f’efa mba samy mieritreritra isika : tsy mahasoa ny firenen-tsika izany fa misintona ny firenentsika midina ».
TRADUCTION
Vous savez, je sais que la question vous taraude. C’est moi qui ai déposé une plainte en tant que le citoyen Rakotovao Rivo. Car c’est l’intégrité de ma personne qui a été visée. Pourquoi écrire dans un journal que je suis un voleur ? Je crois que la démocratie ce n’est pas çà . Ce n’est pas çà non plus la liberté de presse. Si le tribunal pense que j’ai tort, je respecterai sa décision sans problème. Mais je pense que je suis dans mon droit, en tant qu’être humain, c’est mon éducation que la personne a avili, pour des idées divergentes, mais c’est ma vie. Ministre ou pas ministre, je ne peux l’admettre. J’ai peut-être tort, le tribunal pourrait en décider autrement, mais ce sont des pouvoirs distincts. S’il pense que vous Monsieur Rakotovao Rivo, vous ne pouvez pas poursuivre cette catégorie de personne, ce sera donc la loi ici chez nous. Mais nous pensons que ce ne sera pas cela et que chacun de nous a déjà réfléchi : ce n’est pas bien (Ndlr : la non condamnation de nos confrères) pour notre nation car cela la tirerait vers le bas.
Il Ă©tait 19h. En route pour la prison...
A mon sens personnel, et je le répète, cela s’appelle abus de pouvoir. Car comment expliquer les va-et-vient sans cesse du directeur de cabinet du ministre Rakotovao Rivo dans les couloirs du Palais de Justice ? Par ailleurs, ce n’est pas un journaliste qui a écrit l’article mais c’est devenu une affaire d’Etat. Ce que Monsieur le citoyen-ministre ne sait pas c’est que, en ce moment même, il est très mal vu par des vrais décideurs de la Communauté internationale. Ce sera de sa faute à lui, si les sous des bailleurs tardent à pleuvoir et non la faute des journalistes. Il a voulu se mettre sous les feux des projecteurs. Et ben il est servi -et bien servi- lui-même. A l’heure actuelle, sa nouvelle approche du journalisme a fait le tour du monde, en cette époque ou la dépénalisation des délits de presse des journalistes est devenue universelle. Sauf dans les dictatures. A présent donc, son orgueil est satisfait car plutôt que demander une peine de travaux d’intérêt général (lui le nouveau champion de l’HIMO présidentiel) ou, à la rigueur une peine d’amende, il opte pour l’emprisonnement immédiat. Et, dans le temps, les cambrioleurs, les voleurs, les fous, les violeurs, les assassins poursuivent leurs œuvres comme si de rien n’était. Bravo,Monsieur l’orgueilleux. Mais ce n’est pas comme çà qu’on aborde l’apaisement et la notion même de réconciliation. Il faut le faire avec soi-même. En tout cas, contrairement au ridicule, l’orgueil, lui, tue vraiment… Et le ridicule sera qu'il invoque la souveraineté nationale pour emprisonner qui il veut quand il veut, désormais. La terreur sinon le terrorisme d'Etat quoi.
Ces caricatures et photomontages ont été publiées dans plusieurs journaux à l'extérieur. Mais aucun journaliste n'a été convoqué et encore moins emprisonné. Et pourtant il s'agit bien des présidents Barack Obama (l'homme le plus puissant de la planète) et François Hollande (Président de la France reny malala)
Heureusement (façon de parler car Jean Luc et son rédacteur en chef connaissent les affres de l’incarcération) qu’ailleurs, on préfère en rire. Que ferait-il si, lui, le citoyen « démocrate », était traité de la sorte ? Voir les caricatures ci-dessus. Sûr qu’il aurait levé un peloton d’exécution illico presto.
Moralité : on est un homme d’Etat ou pas ; on est un démocrate ou pas. A qui le tour après Jean Luc ? A moi ? A tous les membres du SeFaFi ? En passant, je rappelle que le père Sylvain Urfer a été jeté manu militari hors de Madagascar sous Marc Ravalomanana. D’ici quatre ans, à ce rythme-là , il n’y aura plus de place dans les prisons malgaches. En tout cas, être en prison à 60 ans, c’est un luxe en tant que journaliste. Aux frais de l’Etat.
Jeannot Ramambazafy – 21 juillet 2014