Titulaire d’un doctorat en droit constitutionnel, professeur de droit constitutionnel à l’université d’Antananarivo, consultant pour le compte de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie) -surtout durant la crise de 2009-2014-, Jean Eric Rakotoarisoa était également très actif dans le domaine de la société civile en tant que membre co-fondateur de l’Observatoire de la vie publique (SeFaFi) avant sa nomination à la HCC (Haute cour constitutionnelle). Il exerçait également le métier de journaliste en tant que directeur de rédaction au sein du magazine économique « Dans les Médias Demain » (DMD) fondé par feu Honoré Razafintsalama, son oncle. Il a la réputation d’être très rigoureux et honnête dans l’exercice de ses différentes fonctions. Dans cette dernière phrase, le passé est de rigueur, à partir du 27 février 2014, date de sa nomination en conseil des ministres.
Retour, d’abord, sur un être hors du commun
Jean Eric Rakotoarisoa n’est pas monsieur tout le monde, en effet. Dans les années 1960 début 1970, son père était Président de Tribunal et magistrat de siège. Je ne m’attarderai pas sur celui-ci mais plutôt sur sa mère, Isabelle Razafintsalama qui a fréquenté le lycée Gallieni d’Andohalo (le Bahut), une dizaine d’années avant moi. Saviez-vous qu’elle a été reçue à l’épreuve du baccalauréat en sciences expérimentales en 1950 ? Ayant bifurqué dans le domaine du Droit, elle fut Substitut du Procureur de la République, devenant ainsi la première femme malgache à accéder à ce poste. Pour cette Dame très cultivée, dans le mot Droit, il y a droiture. Et Isabelle Razafintsalama était un modèle irréprochable dans le domaine de l’Équité, de l’Honnêteté et de la Justice. Ce, jusque dans la pratique et non pas en façade. Jean Eric Rakotoarisoa ressemble à sa mère. Mais cette ressemblance reste uniquement au niveau du visage, particulièrement la bouche. Ayant aussi fréquenté le lycée Gallieni, il ira ensuite à Ankatso, à l’EESDEGS (École d’enseignement supérieur de droit, d’économie, de gestion et de sociologie). Puis, il approfondira ses connaissances en Droit et en Sciences économiques à Clermont-Ferrand en France. Pourquoi n’est-il pas devenu magistrat comme ses parents ? Là demeure le mystère jamais levé jusqu’ici.
Grâce à son oncle, Feu Honoré Razafintsalama -ancien du Bahut aussi-, une rubrique lui est confiée dans le magazine DMD (« Dans les Médias Demain ») et il devient « journaliste ». Mais c’est l’université d’Antananarivo qui restera longtemps son univers à temps plein. Il sera, tour à tour : Maître de conférences de Droit public ; Vice-président de l'Université d'Antananarivo, chargé des Ressources et de la Vie universitaire ; Chef du Département Droit de la Faculté de Droit, d’Économie, de Gestion et de Sociologie (Ex-EESDEGS) et Professeur de Droit constitutionnel et de Droit des services publics. En parallèle, il est, avec le père Sylvain Urfer, un des membres fondateurs de l'Observatoire de la Vie publique à Madagascar, plus connu sous le sigle malgache SeFaFi (Sehatra Fanaraha-maso ny Fiainam-pirenena). Celui-ci -l’Observatoire- est connu pour ses prises de position dans le domaine politique et social, en particulier contre la corruption des hommes politiques à Madagascar. Ce cercle de réflexion publie des communiqués souvent très critiques sur la vie politique malgache. Sur le plan international, Jean Eric Rakotoarisoa a été consultant juridique auprès de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), et il est l’un des rédacteurs des Accords politiques de Maputo en 2009. Parfois, on l’entendait sur Radio France internationale (Rfi) où ses avis étaient très pertinents et objectifs. Le passé est de rigueur donc.
Car, soudain, le nouveau président de la république élu, Hery Rajaonarimampianina, le nomme membre de la HCC, le 27 février 2014, en conseil des ministres.
Faux baroud d’honneur ?
Or, le 30 janvier 2014 encore, les déclarations du même Jean Eric Rakotoarisoa, invité dans l’émission « Salangalanga » sur la chaine audiovisuelle RTA Madagascar, étaient… incisives. Ci-après, la transcription de la traduction en français de ses déclarations :
En parlant du candidat Hery Rajaonarimampianina, cela va de soi : « C’est un président de la république qui n’a aucun député propre à lui pour le soutenir à l’Assemblée nationale. Il faudrait redéfinir les conditions de candidature car cela pose problème. Ce problème ne repose pas sur le jumelage des élections législatives et présidentielles. Non, le problème n’est pas là . Mais le candidat [n°3] est un candidat de dernière minute à l’élection présidentielle. Et c’est le problème de la pratique de la politique chez nous. Se porter candidat à la présidence requiert une préparation longtemps à l’avance. Il faut qu’il soit issu d’un parti présent dans tout Madagascar. Un parti fort et susceptible de faire élire des candidats à toutes les élections comme les législatives. Voilà d’où devrait être issu un candidat à la présidence de la république. Tout cela nécessite une révision des conditions et des critères de candidature à la présidence de la république, sinon il y aura toujours des problèmes.
En parlant des députés « indépendants » : « Personnellement, concernant les législatives, je ne suis pas chaud pour ces candidats dits « indépendants ». S’ils sont élus en grand nombre, les difficultés surgiront. Comme nous le constatons : il faut les amadouer. Le malheur est que les gens élisent ces « indépendants » par dépit, vis-à -vis des politiciens et des partis politiques ». Ainsi, à cette date du 30 janvier 2014, Jean Eric Rakotoarisoa était encore rigoureux et honnête envers lui-même et envers l’Etat de droit. Mais... Etait-ce un faux baroud d’honneur de sa part ? Qu’est-ce qui l’a poussé à accepter ce pacte avec le diable ? L’appât du gain pour une vie terrestre matérielle meilleure ? Revanche sur qui ou sur quoi ? Dieu seul le sait… En passant, pour les nuls : un baroud d'honneur signifie qu'un combat est perdu d’avance mais qu'il a été engagé pour sauver l'honneur. Le mot « baroud » vient d'un dialecte berbère du sud du Maroc qui veut dire « poudre explosive ». On peut aussi bien dire pétard mouillé, pour faire simple…
Le 29 octobre 2014, après avoir réussi à corrompre totalement l’article 54 de la Constitution de la IVème république de Madagascar (à propos de la nomination du Premier ministre), Jean Eric Rakotoarisoa sera bel et bien le seul non magistrat de l’Histoire de Madagascar, élu par « vote secret », président de la HCC.
Jean Eric Rakotoarisoa félicité par celui à qui il doit son poste. La dette morale sera pesante et négative dans la séparation des pouvoirs et la gestion même des affaires de l'Etat...
Depuis, tout ce qu’il a décidé, en tant que président de la HCC, est en totale contradiction avec ses propres convictions lorsqu’il était encore au SeFaFi. Jean Eric Rakotoarisoa est tout simplement devenu le portefaix constitutionnel du régime Hvm/Rajaonarimampianina. Et son crime se situe là . En agissant ainsi, comme s’il voulait se venger de quelque chose ou de quelqu’un (mais peut-être se venge-t-il de lui-même ?), ce sont tous ses cours de droit constitutionnel, prodigués à deux générations de Malgaches depuis près de 20 ans, qui sont foutus à l’eau. En passant, tous ses étudiants devraient publier un ouvrage collectif intitulé : « Comment corrompre la constitution de Madagascar », préfacé par l’actuel président de la HCC. Un futur Best seller, je vous le garantis…
Mais pire et plus sérieusement encore : c’est le peuple malgache tout entier qui en pâtit et c’est la Nation malgache toute entière qui fait un bond de plus d’un demi-siècle en arrière. Et cela, ses enfants, ainsi que ses petits-enfants, doivent le savoir. Même si ce sera un lourd héritage à porter. Tant qu’il est encore temps pour lui, s'il veut répondre de ses actes de son vivant, il a le devoir d’aller devant la tombe sa mère pour lui demander pardon. Sinon, son âme (« fanahy ») errera éternellement dans l’antichambre du paradis en pensant que son fils est devenu un fossoyeur de la nation malgache. Pour l'heure, rien ne semble atteindre ce fils… « prodigieux ». Surtout pas les proverbes malgaches "Aleho very tsikalan-kalam-bola toa izay very tsikalan-kaln-kavana"; "Aleho enjehin'ny omby masiaka toa izay enjehin'ny eritreritra"; "Ny nenina tsy any aloha fa any afara handatsa". Faites-vous traduire, vous qui vous intéressez tant à mon pays de naissance et où je reposerai tôt ou tard.
Parmi ses « exploits », l’«Avis n°01-HCC/ AV du 29 Avril 2015 sur la Constitutionnalité de la création d'un groupe parlementaire dont les membres sont issus d'un groupe parlementaire portant la même dénomination mais différenciée seulement par un numéro d'ordre». Pour résumer et ne pas encombrer votre esprit en effervescence, cet avis n’est rien d’autre que la mise à mort du mandat impératif pourtant inscrit en noir sur blanc dans la Constitution sur laquelle le filoha Hery a prêté serment de la respecter comme la prunelle de ses yeux (« anankandriamaso »). Tu parles!
Mais le summum des considérations anti et inconstitutionnelles se situe au moment de la déchéance de son patron qu’il a réussi à sauver in extremis à travers la « décision n°24-HCC/D3 du 12 juin 2015, relative à la résolution de mise en accusation du président de la république Hery Rajaonarimampianina ». Après une kyrielle de considérants aussi sidérants les uns que les autres, ci-après le verdict encore plus sidérant car contradictoire à chaque paragraphe :
Article premier.- La demande des requérants est recevable.
Article 2.- La demande est rejetée comme non fondée.
Article 3.- Les institutions gouvernantes de la République (Président de la République, Gouvernement, Assemblée Nationale) exercent pleinement leurs fonctions conformément à la Constitution.
Article 4.- L’exécutif et le législatif respectent les principes de la séparation et de la collaboration des pouvoirs, fondements du régime semi-présidentiel de la Quatrième République.
Article 5.- Les institutions de la République œuvrent en faveur d’un pacte de responsabilité, garant du bon fonctionnement de l’État, dans le cadre de la Constitution en vigueur.
Mais personne n’a jamais vu de pacte de responsabilité mis en pratique jusqu’à présent, c’est-à -dire trois ans après. Et personne n’a jamais rien dit. En tout cas, le déchu n’a pas été déçu et, bien au contraire, a redoublé d’incapacité à gérer le pays qu’il a carrément mis en vente à l’encan avec l’objectif de 2030 pour une émergence utopique.
Et voilà que, juste après le week-end pascal 2018, est survenu le scandale du vote des trois projets de lois électorales, qui a fait découvrir à l’opinion publique une énième affaire de corruption de la part des tenants de ce pouvoir pourri jusqu’à la moelle épinière. Je n’entrerai pas dans les détails, mais la ligne de défense des pro-régimes (politiciens et médias) est stupide et les accuse encore plus. Le montant de 50 millions d’ariary (250 millions fmg) par tête n’est pas venu du Saint Esprit. Ni la vidéo (ICI) où l’on entend parfaitement des députés qui discutent de faits qui se sont passés récemment et non en 2016. C’est déjà bien que John Elite, élu du côté d’Itaosy, avoue qu’il est corrompu depuis cette année (il a déclaré sur une chaine audiovisuelle que cette vidéo date de 2016), il ne le nie donc pas, mais le plus intéressant reste la décision finale du président de la HCC, après un passage au Sénat bleu Hvm qui ne changera pas grand’chose donc. Pour l’heure, les 73 députés qui n’ont pas touché à ces deniers de Judas, sont allés à la HCC (dépôt d’une plainte de réserve) et au BIANCO (dépôt d’une plainte pour corruption active avec preuves).
Juste en passant, il semble aussi que l’art de compter n’est pas le fort de ce régime Hvm. En effet, il paraît que 79 députés avaient levé la main pour dire oui à ces trois projets de lois. Or, il n’y a que 151 députés à l’Assemblée nationale de Madagascar. Et ce mardi 3 avril 2018, ils n’étaient que 148 députés à voter, un étant décédé, un autre en déplacement et le président ne votant pas car « neutre ». A vos calculettes. Mais vous aurez déjà un aperçu de ce que seront les décomptes, lors des prochaines élections sous ce régime Hvm.
La grande question à laquelle tous les Malgaches et toute la communauté internationale est suspendue demeure alors : Jean Eric Rakotoarisoa pliera-t-il sous le poids de la droiture envers son pays ? Vu les antécédents, il y a peu d’espérance. Mais il doit savoir que dans la vie on a toujours le choix. Certes encore, il a fait un effort concernant la loi sur les ZES (Zones économiques spéciales) dont il a remis en question quelques dispositions. Mais figurez-vous qu’elle a été adoptée en catimini et sans amendements également, le même jour que l’adoption du projet des lois électorales iniques. Cela tout le monde semble l’avoir complètement oublié. Jean Eric : l’avenir immédiat de la Grande île de l’océan Indien se trouve entre tes… considérants.
En attendant, je te présente mes considérations ni pires ni meilleures.
Jeannot Ramambazafy - article également publié dans "La Gazette de la Grande île" du samedi 7 avril 2018