Au centre, SEM Cassam Uteem
EISA MISSION D’OBSERVATION DE l’ELECTION DU 25 OCTOBRE 2013 A MADAGASCAR
Déclaration Préliminaire
Antananarivo, 27 Octobre 2013
1. INTRODUCTION
Le 25 octobre 2013 s’est tenue à Madagascar l’élection présidentielle la plus attendue de l’histoire politique récente de l’Ile, scrutin visant à sortir Madagascar d’une crise politique dans laquelle le pays est plongé depuis plusieurs années. Sept ans après le déploiement de sa Mission d’observation des élections présidentielles de 2006, l’Institut électoral pour une démocratie durable en Afrique, EISA en sigle, a déployé une Mission d’observation électorale (MOE) en réponse à une invitation de la Commission Electorale Nationale Indépendante pour la Transition (CENI-T).
Le but de la MOE d’EISA est d’évaluer l’intégrité, la crédibilité et la transparence du processus électoral en cours. EISA constate, d’ores et déjà , avec satisfaction la prise en compte d’un certain nombre de reformes qu’il avait recommandées au lendemain de son observation du scrutin présidentiel de 2006, notamment la création d’une Commission Electorale Nationale Indépendante, et l’utilisation du bulletin unique.
La valeur ajoutée et l’avantage comparatif d’EISA dans l’observation de cette élection reposent précisément sur sa longue expérience accumulée à travers l’appui à plus de soixante dix processus électoraux dans des pays en transition, post-conflit et post-crise ainsi que la présence permanente d’EISA à Madagascar à travers son bureau à Antananarivo ouvert en 2007.
Présente à Madagascar depuis le 16 octobre 2013, la MOE d’EISA est sous la direction de Son Excellence Monsieur Cassam Uteem, ancien Président de la République de Maurice et assisté par Monsieur Denis Kadima, Directeur Exécutif d’EISA. Elle est composée d’une quinzaine d’experts et de représentants des Organisations de la Société Civile provenant de diverses régions d’Afrique. La MOE présente dans cette déclaration les résultats préliminaires de son évaluation de l’élection présidentielle, ses recommandations et conclusions au vu de ses entretiens avec des acteurs Malgaches et internationaux, ses observations directes et ses constats dans les différentes aires de déploiement de ses équipes d’observateurs. L’évaluation de la MOE d’EISA de l’élection présidentielle du 25 octobre 2013 est basée sur les lois de la République de Madagascar ainsi que les normes et principes internationaux divers notamment la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance; les Principes pour la Gestion, la Surveillance et l'Observation des Elections dans la région de la SADC (PEMMO), principes développés sous les auspices de l'EISA et des autorités électorales. des pays de la région de la SADC ainsi que la Déclaration de principes pour l’observation internationale d’élections.
EISA publiera un rapport final après les élections législatives couplées éventuellement au second tour de l’élection présidentielle. Nous tenons à souligner qu’EISA et le Centre Carter déploieront une Mission intégrée conjointe à l’occasion du scrutin de décembre.
La présente déclaration porte exclusivement sur la phase pré-électorale, le scrutin, le dépouillement des voix et la compilation des résultats dans quatre des six régions du pays dans lesquelles les équipes d’EISA ont été déployées.
2. OBJECTIFS ET METHODOLOGIE DE LA MISSION
Au-delà de l’objectif global de l’évaluation de l’intégrité, de la crédibilité et de la transparence de l’élection, la MOE a trois objectifs spécifiques notamment : évaluer si les conditions sont réunies pour l’organisation d’une élection qui permet aux citoyens de Madagascar d’exprimer librement leur volonté ; analyser le déroulement de l’élection à l’aune du cadre constitutionnel, institutionnel et légal en vigueur et apprécier de la conformité de la conduite des élections aux standards internationaux et continentaux; et déterminer si le résultat de l’élection est le reflet de la libre expression de la volonté de l’électorat malgache.
Afin d’atteindre lesdits objectifs les observateurs se sont d’abord familiarisés, au cours des sessions d’orientation et d’information tenues les 19 et 20 octobre 2013 à Antananarivo, avec les principes, la méthodologie de l’observation internationale des élections, l’utilisation des tablettes qui font depuis 2011 partie intégrante de la méthodologie qu’EISA emploie pour la collecte et la transmission des données sur les opérations de vote, dépouillement et de compilation/centralisation des résultats. La session d’orientation avait également pour but d’attirer l’attention de nos observateurs sur leur rôle et responsabilités.
Une série de rencontres avec l’ensemble des acteurs-clés du processus électoral s’en est suivie. Ainsi, la Mission a, tour à tour, a eu des échanges avec la CENI-T, la Cour électorale spéciale (CES), un certain nombre de candidats, les partenaires extérieurs de Madagascar, les autres Missions d’observation électorale notamment l’Union africaine (UA), la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC), l’Union européenne (UE) et la Commission de l’Océan Indien, les responsables de la société civile, des médias et de la sécurité intérieure. Des rencontres similaires ont eu lieu dans les lieux de déploiement des équipes d’EISA.
A l’issue des sessions d’orientation et d’information EISA a déployé 7 équipes d’observateurs du 22 au 27 octobre 2013 dans les chefs-lieux de cinq provinces de Madagascar notamment Antananarivo, Diego, Fianarantsoa, Tamatave et Tuléar.
La période de déploiement dans les régions a permis aux observateurs d’EISA de se familiariser avec le contexte local, d’observer les derniers jours de la campagne électorale et d’observer le déploiement du matériel électoral dans les bureaux de vote à la veille du scrutin.
Le vendredi 25 octobre 2013, le jour du scrutin, les équipes d’observateurs ont suivi les opérations de vote et de dépouillement.
Les observateurs d’EISA ont aussi suivi le début de la compilation des résultats à Antananarivo, Fianarantsoa, Tamatave et Tuléar.
3. CONSTATS PRELIMINAIRES DE LA MISSION
La MOE d’EISA a fait les constats préliminaires suivants:
3.1 Contexte Politique des Elections
La tenue effective d’une nouvelle élection présidentielle à Madagascar, qui aurait dû avoir lieu en 2011 conformément à la disposition constitutionnelle sur la durée du mandat, n’a pu se matérialiser en raison de la crise politique qui est survenue depuis mars 2009. Celle-ci tire ses origines du conflit opposant l’ex-Président Marc Ravalomanana à l’ancien maire d’Antananarivo Andry Rajoelina soutenu par l’armée malgache. Suite en effet à des manifestations de rue, une mutinerie des sous-officiers proches de l’opposition aboutira à la chute de Ravalomanana et la création d’un directoire militaire, lequel transférera le pouvoir à Andry Rajoelina, investi président de la Haute Autorité de la Transition le 21 mars 2009.
Ce dernier conduit depuis lors, une transition politique qui devra être sanctionnée par l’organisation d’élections générales crédibles, propres à restaurer la stabilité du pays. Les principales étapes de cette transition sont, entre autres:
· La mise en place d’une médiation régionale qui va aboutir à la signature en février 2012 d’une Feuille de route pour la sortie de crise à Madagascar, accord politique adopté sous le patronage de la SADC et destiné à créer un climat d’apaisement politique propice à la tenue des élections de sortie de crise ;
· L’adoption en Septembre 2011 d’une nouvelle Constitution, posant les jalons de la Quatrième République malgache ;
· La formation d’un Gouvernement de Transition rassemblant les principales forces politiques malgaches sous la conduite d’un Premier Ministre nommé par le Président de la Transition ;
· L’établissement d’organes législatifs transitoires (Congrès de la Transition et Conseil Supérieur de la Transition) dont l’objectif était de favoriser la mise en place des différents textes de la Transition. A compter parmi ces textes sont les lois sur la commission électorale et les divers types d’élections générales, ainsi que la vie des partis politiques, lois sur les partis politiques et le statut de l’opposition, loi portant amnistie etc.;
· La révision des prérogatives de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) devenue Commission Electorale Nationale Indépendante pour la Transition et la création d’une Cour Electorale Spéciale (CES) chargée du règlement du contentieux électoral et de la proclamation des résultats définitifs des élections présidentielles et législatives;
Le débat politique et électoral récent a été dominé par la candidature ou non des deux acteurs majeurs du jeu politique national. Sous l’égide de la SADC, l’approche adoptée dans le cadre de l’organisation d’un processus électoral apaisé a été celle de la non candidature de M. Ravalomanana et M. Rajoelina. Le non respect de cette recommandation par le Président de la HAT en dépit de son engagement pris dans ce sens début 2013 et l’acceptation de sa candidature déposée au-delà des délais impartis ainsi que celles de l’épouse Ravalomanana et de l’ex président Ratsiraka, allant à l’encontre de la clause constitutionnelle de résidence, le 03 mai 2013, va entrainer le durcissement de la position de la communauté internationale et le gel du financement du processus électoral. Cette crise va se résoudre par la refonte de la CES et la révision de l’arrêt précité du 3 mai prescrivant le retrait/remplacement de toute candidature litigieuse (Décision No 8 du 17 aout 2013). Les élections initialement prévues pour le 8 mai 2013 ont été reportées au 24 juillet 2013 puis au 25 octobre 2013 par la Commission Electorale Indépendante pour la Transition (CENI-T).
3.2 Un cadre constitutionnel et juridique pour des élections compétitives
Le processus électoral malgache est encadré par divers textes destinés à en organiser la réalisation des différentes activités. Ce cadre hétérogène est constitué de textes se rapportant aussi bien au cadre politique global des activités électorales qu’aux questions (institutionnelles et techniques) purement électorales.
Le fondement politique principal des opérations électorales actuelles est à rechercher dans la Feuille de Route pour la Sortie de Crise à Madagascar. Cet acte politique majeur, signé le 16 septembre 2011 sous l’égide de la SADC par dix entités (partis et groupements) politiques, trace en effet les grands canevas du processus électoral, à savoir :
- La création d’une nouvelle commission électorale indépendante mue, dans sa composition, par les principes de représentativité, d’inclusivité, d’équilibre et « disposant des pleins pouvoirs dans la gestion de l’ensemble du processus électoral »
(Point 10 (a)) ;
- La création d’une CES chargée du contentieux électoral et de la proclamation des résultats définitifs des élections présidentielles et législatives (Point 110)
- La révision du Code électoral et l’adoption du bulletin unique (Point 10(b) et (d)) Pour sa part, la Constitution du 11 décembre 2010, inaugurant la Quatrième République malgache, pose le principe suivant lequel la démocratie est le fondement de la République (Art. 1er). Pour ce faire, elle dispose que la souveraineté appartient au peuple, source de tout pouvoir, qui l’exerce au suffrage universel direct ou indirect ou par la voie du referendum.
Sont ainsi électeurs, dans des conditions d’égalité et de non discrimination, tous nationaux jouissant de leurs droits civils et politiques.
La Constitution consacre, par ailleurs, la liberté de création des partis ou groupements politiques appelés à concourir à l’expression du suffrage (Art. 14) et reconnait un statut à l’opposition et aux partis d’opposition, leurs donnant ainsi un cadre institutionnel d’expression.
Du point de vue du pouvoir exécutif, la Constitution de la Quatrième République stipule que le Premier Ministre, chef du Gouvernement est issu de la majorité à l’Assemblée Nationale (Art. 54).Quant au pouvoir législatif, il est exercé par un Parlement bicaméral en charge du vote de loi, du contrôle de l’action gouvernementale ainsi que de l’évaluation des politiques publiques. Celui-ci peut mettre en jeu la responsabilité du gouvernement à travers une motion de censure (Art. 103). D’autre part le Président de la République a le pouvoir de dissoudre le Parlement
Le pouvoir judiciaire est exercé par les tribunaux dont les plus hautes instances sont :
· La Cour suprême veillant au fonctionnement régulier des juridictions de l’ordre judiciaire, administratif et financier ;
· La Haute Cour Constitutionnelle, juridiction spéciale juge, entre autres, de la conformité des lois. La Haute Cour Constitutionnelle abrite, en vertu de la loi No 2012-014 du 26 juillet 2012 une chambre spéciale, transitoire, dédiée au contentieux des élections présidentielles et législatives ;
· La Haute Cour de justice compétente pour juger le Président de la République et certaines personnalités politiques pour les infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions. La loi organique devant opérationnaliser une telle institution n’est toutefois pas encore adoptée.
Les opérations électorales pour les élections présidentielles sont organisées selon la loi organique N° 2012-005 du 22 mars 2012 portant Code électoral. Celle-ci, étant laconique sur certaines questions, renvoie à un texte spécifique pour les premières élections présidentielles de la Quatrième République. Ces instruments consacrent les principes fondamentaux destinés à assurer des élections démocratiques. Il s’agit notamment de :
· L’universalité du suffrage
· L’égalité du suffrage, des électeurs et des candidats
· La liberté du vote, des électeurs et des candidats
· Le secret du vote
3.3 Le Système Electoral pour les élections présidentielles
Le Président est élu au suffrage universel direct lors d’un scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Est ainsi proclamé Président, le candidat qui obtient la majorité absolue des voix au premier tour. En l’absence d’une telle majorité un deuxième tour est organisé 30 jours au plus tard à compter de la proclamation des résultats définitifs du 1er tour (Art. 1er de la loi sur les élections du premier Président de la République de la Quatrième République). Celui-ci opposera alors les deux candidats ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages.
3.4 L’administration électorale
La MOE d’EISA en 2006 avait recommandé la création d’une Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) suite à la controverse sur la neutralité et l’impartialité du Ministère de l’Intérieur et de la Réforme Administrative (MIRA), l’une des trois institutions qui étaient chargées de la gestion et de la supervision du processus électoral.
La CENI rebaptisée Commission Electorale Nationale Indépendante pour la Transition (CENIT) est régie par la Loi no 2012-004 fixant son organisation, son fonctionnement et ses attributions. Elle est l’institution chargée d’organiser et de gérer tous les scrutins pendant la transition. L’article 6 de la Loi no 2012-004 confère à la CENIT le pouvoir de se charger des opérations ayant trait à la liste électorale ; de superviser et d’organiser les opérations électorales, du traitement et de la publication des résultats provisoires des élections et de l’élaboration des programmes d’éducation électorale. La CENI-T au niveau national comprend 24 membres représentant les organisations de la société civile, l’administration et les onze partis politiques signataires de la Feuille de route. Elle dispose de démembrements aux niveaux régional, du district et de la commune. Les Cours et tribunaux sont chargés de la gestion du contentieux. La CES proclame les résultats définitifs des élections présidentielles et législatives et gère le contentieux électoral Les Cours et sont chargées de la gestion du contentieux électoral.
La Mission a relevé que le cadre juridique et institutionnel en vigueur pour l’élection présidentielle consacre la mise en place d’un organe de gestion des élections indépendant et impartial. De ses entretiens avec les acteurs malgaches et internationaux la Mission a également noté que la CENI-T bénéficie de la relative confiance des parties prenantes au processus en dépit des réserves émises par certains acteurs nationaux quant à sa capacité de gérer les élections. La Mission a noté le contexte politique contraignant dans lequel la CENI-T a organisé cette élection présidentielle ainsi que les défis d’ordre financier, logistique, matériel et technique auxquels elle fait face. Un contexte politique et des défis qui ont conduit la CENI-T à reporter les scrutins présidentiel et législatif à deux reprises.
3.5 L’enrôlement des électeurs et les cartes d’électeurs
Pour être électeur, l’article 3 de la Loi Organique no 2012-005 du 22 mars 2012 exige d’être de nationalité malgache, âgé de 18 ans révolus à la date du scrutin et de jouir des droits civils et politiques. Une liste électorale est établie au niveau de chaque Fokontany (le quartier) par la CENI-T. Se trouve dans chaque Fokontany une commission locale de recensement chargée de recenser tous les citoyens ayant rempli les conditions requises. La Loi Organique prévoit la révision annuelle de la liste électorale. Le mode opératoire retenu par la CENI-T pour ces élections de sortie de crise a privilégié le porte-à -porte dans le cadre de l’inscription des électeurs, maximisant ainsi les chances de prise en compte dans le processus de la majorité de la population électorale cible.
La Mission a été informée, par ailleurs, des difficultés éprouvées par la CENI-T au moment de la distribution des cartes d’électeurs. Elle a également noté les mesures prises par la CENI-T pour le retrait des cartes électeurs dans les bureaux de vote pour tous ceux qui n’étaient pas en possession de leur carte avant le scrutin.
3.6 La question des candidatures
Conformément à la Loi Organique relative à l’élection du Président de la Quatrième République tout candidat à la présidence doit être de nationalité malgache, jouir de ses droits civiques et politiques, âgé de 35 ans à la date de clôture du dépôt de candidature mais également devrait avoir résidé sur le territoire national 6 mois avant la date limite fixée pour le dépôt des candidatures.
La Mission a noté que la CES avait publié en mai 2013 une liste définitive de 51 candidats parmi lesquels figuraient Lalao Ravalomanana et Andry Rajoelina en dépit du fait que Lalao n’avait pas résidé sur le territoire national 6 mois avant la date du scrutin. La Mission a également noté l’invalidation de cette liste par la nouvelle Cour Electorale Spéciale après réexamen des dossiers. Une nouvelle liste définitive comprenant 33 candidats a été publiée par cette dernière.
Une caution de cinquante millions d’Ariary (environ 23.809 US$) est exigée de tout candidat à l’élection présidentielle (Art. 5 de la loi organique portant Code électoral) à titre notamment de participation aux frais d’impression. Cette caution est remboursable à tout candidat ayant obtenu au moins 10% des suffrages exprimés à l’issue des résultats définitifs (Art. 1er et 2 du Décret No 2013-157 du 12 mars 2013 fixant les modalités de versement et de remboursement de la contribution des candidats aux frais engagés par l’Administration).
3.7 Sensibilisation et éducation électorale
La sensibilisation et l’éducation électorale sont les maillons importants du dispositif électoral. Elles visent notamment à favoriser l’adhésion et la participation des citoyens au processus. La nécessité d’une sensibilisation à grande échelle s’imposait dans contexte caractérisé par une longue transition, l’introduction d’un bulletin unique, la gestion des élections par un nouvel organe, la CENI-T, l’analphabétisme et un nombre particulièrement élevé de candidats.
La sensibilisation à Madagascar a été essentiellement financée par l’Union Européenne. Elle avait pour but d’informer les électeurs sur le processus d’inscription et sur la façon de voter dans le contexte d’un bulletin unique. Les organisations de la société civile nationales ont participé à la campagne de sensibilisation avec l’appui technique d’ONGs internationales telles qu’EISA, Search For Common Ground et le consortium PACTE. Ce dispositif a été renforcé par l’action du Projet d’appui au cycle électoral à Madagascar (PACEM). La stratégie en la matière a consisté à déployer aussi bien des actions de terrain et de proximité à travers les stands et caravanes conduits par la société civile que des campagnes médiatiques.
Des interactions avec les parties-prenantes, il ressort que plusieurs défis et difficultés ont impacté l’action, ne permettant pas souvent d’atteindre les populations les plus reculées du pays. Il s’agit notamment de :
· L’étendue du pays et les contraintes infrastructurelles, logistiques et sécuritaires impliquées ;
· Les retards liés aux crises politiques successives et au retard dans le décaissement des fonds;
· L’absence de la société civile nationale dans certaines parties du pays notamment dans les zones rurales et son manque de moyens financiers et matériels.
Il est toutefois important, malgré ces contraintes, de souligner les efforts consentis, à tous les niveaux, par l’ensemble des acteurs du processus en vue de porter l’information électorale aux destinataires. Une meilleure synergie devra cependant être développée à l’avenir en vue d’atteindre le niveau d’efficacité souhaité.
3.8 Campagne électorale, financement de la campagne et accès aux medias publics
Campagne électorale
Conformément à Loi Organique no 2012-015 relative à l’élection du premier Président de la Quatrième République la campagne électorale débute officiellement trente jours avant la date de l’élection présidentielle et prend fin 24 heures avant le jour du scrutin. La Mission a noté que la campagne électorale dans le cadre de cette élection présidentielle a démarré le 23 Septembre 2013 et a pris fin le 23 octobre 2013. Elle a observé le respect de l’arrêt de campagne par les candidats.
La campagne électorale s’est déroulée sans incidents majeurs. Les candidats et leurs militants ont eu le droit de se réunir et de circuler librement dans l’ensemble du pays. La campagne a pris la forme de meetings, d’affiches des candidats sur les véhicules, de conférence de presse et des caravanes.
Les candidats rencontrés par la Mission ont rapporté, dans l’ensemble, qu’ils étaient satisfaits de la campagne qui s’est déroulée dans le respect du Code d’Ethique et de Bonne Conduite Politique des Acteurs Politiques ainsi que de la liberté de battre campagne.
Le financement de la campagne
Plusieurs interlocuteurs de la Mission ont fait état des moyens financiers déséquilibrés entre différents candidats. A cet effet, la Mission a noté l’absence de dispositions légales sur le plafonnement des dépenses de campagne électorale ainsi que le manque d’obligation aux candidats de déclarer leurs revenus et les dépenses électorales.
Accès aux médias publics
La Mission a relevé que la CENI-T, de commun accord avec le ministère de la communication, est l’institution chargée de la répartition du temps d’antenne pendant la campagne électorale.
Il a été rapporté à la Mission que répartition des heures d’antenne a été faite sur la base d’un tirage au sort. Les candidats en lice n’ont pas toujours eu un accès équitable aux médias publics. Certains candidats ont exprimé un certain mécontentement quant à l’accès aux medias. La Mission a noté la tenue de débat télévisé des candidats, la première dans l’histoire électorale récente du pays.
3.9 Financement des élections
En vue d’accompagner le processus électoral de sortie de crise à Madagascar les partenaires extérieurs au développement ont mis en place le Projet d’Appui au Cycle Electoral à Madagascar (PACEM) qui a été lancé en Novembre 2012. Outre le financement d’une valeur de 13.666.997 US$ octroyé par le gouvernement de transition à la CENI-T, la Mission a relevé qu’à travers le panier des fonds du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) les partenaires au développement ont décaissé un montant de 14.362.591 US$ à l’appui à la CENI-T dans le cadre de l’informatisation du fichier électoral, de la formation du personnel électoral, de l’organisation technique et matérielle des différents scrutins et de la gestion du contentieux ayant trait au processus électoral. Le décaissement de ces fonds était également destiné au renforcement des capacités des acteurs nationaux notamment les partis politiques, les organisations de la société civile, la plateforme des femmes en politique et les médias.
3.10 Le jour du vote
La Mission a noté que l’élection présidentielle du 25 octobre 2013 s’est déroulée dans un climat de paix et de tranquillité. Dans l’exercice de leur droit les citoyens ont fait montre de volonté de participer à l’élan de sortie de crise comme démontré par l’engouement et la discipline observés en dépit de certaines insuffisances relevées dans l’organisation matérielle du scrutin. Toutefois, la Mission note que cette affluence des électeurs n’était pas égale partout dans le pays. La Mission a appris qu’il y a eu des cas isolés de violence mais ne pouvait les confirmer.
L’ouverture des bureaux de vote
Tous les bureaux de vote visités par la Mission ont ouvert avec un certain retard. 33% des bureaux visités ont ouvert avec un retard d’entre 15 et 30 minutes. Ces retards ont généralement été causés par l’arrivée tardive du personnel électoral (43%) ; ainsi que l’arrivée tardive du matériel électoral (43%). Les équipes de la Mission ont relevé que la liste électorale n’a pas été affichée à l’entrée des centres de vote. Le matériel était disponible dans 83% des bureaux de vote visités. La Mission a relevé que l’urne était scellée dans tous les bureaux visités par ses équipes. Dans 50% des bureaux de vote visités l’accès au bureau de vote n’a été accordé aux délégués des candidats qu’après l’ouverture.
Les agents de l’ordre et de sécurité
La Mission a relevé la faible sécurisation des centres de vote au vu de l’absence des forces de sécurité dans 75% des centres de vote visités.
Les bureaux de vote
La Mission a noté que 72% des bureaux de vote était accessible aux personnes handicapées. Elle n’a pas relevé la présence d’affiches de campagne dans les bureaux de vote. Il y avait une file d’attente dans 78% des bureaux visités. Dans 94% des cas le bureau était aménagé de manière à favoriser la fluidité des opérations du vote.
Le matériel électoral
Dans 97%des bureaux visités la Mission a noté que le matériel était disponible en quantité suffisante. La Mission a relevé que chaque bulletin de vote avait un numéro de série. Elle est d’avis que cette mesure est un gage supplémentaire de sécurisation des bulletins de vote.
Le déroulement du vote
Le secret du vote a été préservé dans 97% des bureaux de vote visités par les équipes d’EISA au vu du bon aménagement de ces bureaux. Dans 47% des bureaux visités le personnel électoral prenait entre 3 et 5 minutes pour s’occuper d’un électeur. La Mission a relevé la lenteur du personnel électoral à identifier les électeurs. Dans 73% des bureaux de vote visités des électeurs ont été refoulés parce que leurs noms ne figuraient pas sur la liste électorale. La Mission a également relevé le non retrait des cartes d’électeurs dans certains bureaux de vote.
Le personnel électoral
Tout le personnel électoral était présent dans 97% des cas. Les membres du bureau de vote étaient identifiables par leur badge dans tous les bureaux de vote visités. Il serait souhaitable qu’en plus des badges le personnel électoral ait un uniforme tel qu’un gilet.
L’équipe d’EISA déployée à Diego a constaté, un certain nombre de fois, que certains agents électoraux dans le bureau de vote numéro 3 au Lycée Mixe cherchaient indument à influencer le choix des électeurs. Le personnel électoral a fait preuve de beaucoup de bonne volonté et interagissaient bien avec les électeurs, les délégués des partis et des candidats, les observateurs tant nationaux qu’internationaux. Cependant, on pouvait noter une insuffisante maitrise des procédures électorales de leur part. Outre l’absence ou la faible harmonisation des procédures d’un bureau de vote à un autre, il y a lieu de souligner des hésitations voire des confusions observées ici ou là sur la procédure à suivre pour le dépouillement.
La participation des femmes
En dépit de la mobilisation des femmes en tant qu’électrices et déléguées des candidats ainsi que la représentation des femmes au sein du personnel électoral la Mission note la faible participation des femmes comme candidates.
Les délégués des candidats
La Mission a noté la présence des délégués des candidats dans tous les bureaux de vote visités. La Mission a par ailleurs noté que les délégués de candidats ne comprenaient pas leur rôle.
Les observateurs électoraux
La Mission a relevé la faible présence des observateurs nationaux dans 59% des bureaux visités.
Médiation électorale
La Mission a par ailleurs noté que la société civile s’est engagée à travers un projet innovateur de médiation et d’alerte précoce avec l’appui d’EISA et du PACEM. Elle se félicite d’un tel engagement à prévenir et résoudre les conflits pouvant émailler le processus électoral.
La fermeture des bureaux de vote
La plupart des bureaux de vote n’ont pas respecté l’heure de fermeture officielle. Certains bureaux de vote ont fermé à l’heure mais ont permis aux électeurs en rang de voter.
Le dépouillement des voix
La Mission a relevé que le dépouillement était laborieux et lent. Le dépouillement a été généralement conduit d’une façon transparente, dans le même climat de sérénité et de transparence qui a prévalu lors du vote. La Mission a constaté que le dépouillement était ouvert à tout le monde y compris les supporters des différents candidats. Il est à noter que quand bien même le dépouillement s’est passé paisiblement en présence de ces personnes dans une élection polarisée et tendue cette situation peut dégénérer et conduire à la destruction du matériel électoral sensible et compromettre la sécurité des bulletins de vote.
La Mission se réjouit du nombre faible des bulletins nuls dans les bureaux de vote visités par les équipes d’EISA malgré l’apparente faible sensibilisation des électeurs. Ceci démontre qu’il y a eu plus de peur que de mal.
4. RECOMMANDATIONS
Se basant sur les constats et observations préliminaires de sa Mission d’observation, EISA recommande les mesures suivantes :
4.1 Recommandations à court terme :
· Etablissement de carte d’identité : le ministère de l’intérieur devrait continuer de mettre des cartes d’identité à la disposition des citoyens qui n’en possèdent pas pour que ces derniers puissent s’enrôler comme électeur.
· Inscription supplémentaire des électeurs : la CENIT devrait explorer la possibilité de prendre des mesures pour l’inscription supplémentaire des électeurs en vue de promouvoir l’établissement d’une liste plus exhaustive, exacte et inclusive en vue d’une participation plus accrue aux élections de Décembre 2013.
· Affichage de la liste électorale : prendre des mesures pour que la liste électorale soit affichée devant les centres de vote.
· Vérifiabilité et intégrité des résultats : assurer la vérifiabilité et l’intégrité des résultats en s’assurant que le matériel électoral sensible, y compris les bulletins de vote, soit compté, classé et mis sous pli de manière organisée et systématique. La CENIT devra aussi décider de l’opportunité de permettre au public d’être présent dans le bureau de vote compte tenu du potentiel risque que cet état de choses peur avoir sur les bulletins de vote et les agents électoraux.
· Publication des résultats dans les bureaux de vote : pour des raisons de vérifiabilité, la publication des résultats devrait être faite par bureau de vote.
· Formation du personnel électoral : un accent particulier devrait être mis sur la formation du personnel électoral eu égard au couplage des élections législatives et d’un éventuel second tour de la présidentielle, afin de pallier aux carences relevées lors du premier tour de cette élection.
4.2 Recommandations à moyen terme :
· La mise en place d’un cadre juridique portant sur le financement de la campagne : en vue d’éviter le déséquilibre dans les moyens entre les différents partis politiques et candidats.
· Création d’un organe de régulation : créer un organe indépendant chargé de la régulation de l’accès aux medias pendant les élections.
· Professionnalisation de la CENI-T : assurer la professionnalisation de la CENI-T tout au long du cycle électoral.
5. CONCLUSION
Au regard du cadre juridique des élections à Madagascar ainsi que des standards et principes électoraux régionaux et internationaux la Mission d’observation électorale d’EISA est d’avis que l’élection présidentielle du 25 octobre 2013 a été conduite de façon libre, crédible et transparente. Cependant, cette évaluation ne couvre pas la centralisation et l’annonce des résultats. La MOE d’EISA exhorte les malgaches à adopter le même esprit de sérénité lors de la centralisation, l’annonce des résultats provisoires et définitifs ainsi que durant le reste de la phase postélectorale.
Son Excellence Cassam Uteem
Chef de la Mission d’observation électorale - EISA