SEHATRA FANARAHA-MASO NY FIAINAM-PIRENENA
SeFaFi
Observatoire de la Vie Publique
Lot TR 41 Ampahimanga, Ambohimanambola 103
La situation du pays est des plus critiques. Tandis que des pluies torrentielles s’abattent sur les Hautes terres, et notamment sur la capitale, certaines régions du Sud souffraient il y a peu de sécheresse et de famine. Le 5 mars 2015 au soir, le bilan provisoire du BNGRC (Bureau national de gestion des risques et des catastrophes) concernant l'inondation dans les régions Vakinankaratra, Analamanga et Alaotra Mangoro, fait état de 25 morts et de 88.253 sinistrés dont 39.122 déplacés ; le 3 mars, on comptait 581 habitations détruites, 1.598 habitations et 6.339 hectares de rizières inondés.
Les pluies ont multiplié les nids d’autruche dans quasiment toutes les rues de la capitale, elles ont provoqué la rupture de nombreuses digues mal entretenues et, en ville, l’effondrement de murs de soutènement, des glissements de terrain et la menace d’éboulements de rochers. Les membres du SeFaFi s’associent au deuil des familles éprouvées et aux souffrances des victimes de pertes matérielles.
Les secours s’organisent tant bien que mal, le BNGRC semble être sur tous les fronts mais sa communication et son organisation manquent de clarté et ses réactions tardives et brouillonnes face à l’urgence font jaser les citoyens et les divers partenaires. Des initiatives citoyennes se sont donc mises en place pour porter secours aux sinistrés. La Croix Rouge est mobilisée, jamais les sapeurs-pompiers n’ont travaillé aussi dur. Mais hormis une descente sur terrain médiatisée le 28 février, l’exécutif est quasi-invisible. Pendant ce temps, le prix des denrées alimentaires et des produits de première nécessité atteint des sommets, ce qui ne peut qu’empirer pour les légumes et pour le riz, des centaines d’hectares de champs et de rizières étant inondés. Les catastrophes sont les bienvenues pour les spéculateurs (du riz avarié aurait-il vraiment été mélangé à de nouveau, et reconditionné pour être mis en vente dans la capitale?), pour les détourneurs d’aides et pour certains partis ou groupements para-politiques en quête d’électorat.
L’ampleur de la catastrophe met tous les acteurs de la vie nationale devant leurs responsabilités. Il serait trop facile pour les dirigeants de s’en exonérer sous le prétexte fallacieux de « pluies exceptionnellement abondantes » ou de constructions illicites. Certes, les citoyens qui jettent leurs ordures dans la rue obstruent les égouts, ceux qui pissent contre les murs ou crachent des fenêtres des taxis-be empestent l’atmosphère ou diffusent leurs microbes, et ceux qui construisent leurs habitations aussi précaires qu’illégales au-dessus des canaux d’évacuation aggravent les inondations. Mais qui sont les vrais responsables ?
Les agents de la CUA (Commune urbaine d’Antananarivo) qui ont octroyé des permis de construire de complaisance, les agents de l’APIPA (Autorité pour la protection contre les inondations de la plaine d'Antananarivo) qui ont autorisé le remblayage de zones protégées, les fonctionnaires des Domaines qui ont fait du trafic avec les terrains domaniaux, les entreprises qui ont réalisé les remblais en cachette et, au premier chef, les maires et PDS qui se succédés à la tête de la capitale. Sans parler des autorités supérieures qui ont laissé faire - quand elles n’étaient pas complices.
Des leçons doivent être tirées de ce désastre, d’autant que ce sont les plus pauvres qui paient le prix fort de cette négligence collective. A quelques mois des élections communales, toute la politique urbaine du pays est à revoir. Serait-il scandaleux d’exiger des candidats-maire, surtout dans les grandes villes, qu’ils rendent public le projet d’urbanisme qu’ils comptent mettre en œuvre s’ils sont élus ? Si leur conscience civique, leur sens de l’éthique et leur courage politique n’y suffisent pas, un texte réglementaire approprié pourrait les y contraindre. Car il est inconcevable d’être candidat à une mairie sans avoir de projet pour développer la ville ! Cela permettra de sortir de l’improvisation à laquelle nous ont habitués les maires et PDS successifs de toutes les villes du pays. Récurer les canaux avant la saison des pluies, réparer les rues sans attendre qu’elles soient détruites, octroyer les permis de construire sur une base technique fiable et pas en échange d’une enveloppe, arrêter la corruption de la police municipale et l’indiscipline des chauffeurs de taxis-be, mettre en fourrière les voitures qui squattent les trottoirs, rendre les trottoirs aux piétons tout en recouvrant les caniveaux, contraindre les marchands à laisser la rue aux voitures : ces mesures de bon sens seraient-elles irréalisables à Madagascar?
Il faudra aussi cesser de manipuler les opinions nationale et internationale.
Crier au cyclone alors que rien ne menace, ou invoquer des dégâts cycloniques là où ne sont passées que des tempêtes tropicales, même fortes, c’est se moquer de la générosité des pourvoyeurs d’aide (qui ne sont pas dupes) et des citoyens (qui finissent par se lasser). A propos des récentes perturbations météorologiques, voici ce que dit un article informé, manifestement repris de source sûre : « Pour les hautes terres et particulièrement pour Antananarivo, les cumuls DJF2015 [Décembre 2014, Janvier et Février 2015 - ndlr] sont certes supérieurs à la normale mais pas exceptionnels. Ces précipitations ne sont pas d’origine cyclonique, mais dues à la persistance de la Zone de Convergence Intertropicale active plus de un mois sur Madagascar » (Midi-Madagasikara, 4 mars 2015). Notons quand même une évolution très positive : le 12 janvier 2015, alors que Chedza menaçait, le site web de la météo malgache, qui n’avait pas été actualisé depuis le 18 novembre 2014, parlait encore d’Adjali ; depuis lors, les services responsables semblent être à jour.
Il faudra aussi veiller à professionnaliser et à dépolitiser les organes de gestion des risques et catastrophes. L’actuel patron du BNGRC a été nommé le 17 octobre 2014, quasiment à la veille de la saison cyclonique, sur la base de critères clairement politiques, alors que son prédécesseur avait été nommé en mars 2013. Faut-il alors s’étonner que le plan de pré-positionnement, visible sur le site web du BNGRC, soit encore celui de 2013-2014 et que le BNGRC n’ait pas encore mis à jour son organigramme ? Face aux récentes catastrophes, qui étaient relativement de faible gravité, tous les partenaires de la coopération internationale attendaient un minimum de leadership national qui a fait défaut.
Par ailleurs, nous ne devons pas oublier nos voisins : le 2 mars, des inondations ont fait plus de 50 morts au nord de la Tanzanie. Comme Madagascar, la Tanzanie est membre de la SADC : cet organisme régional, prompt à sanctionner, ne devrait-il pas aussi faire preuve de solidarité ?
Que faut-il en conclure ? Les intempéries ont servi de révélateur à un effondrement général. Et ce ne sont pas les campagnes annuelles de mendicité qui redresseront la situation, mais une planification holistique, des constructions aux normes, un entretien régulier, l’élimination de la corruption et la gestion dépolitisée des risques et catastrophes. Avec le concours de nos partenaires et amis, en mettant à contribution les compétences nationales qu’il s’agit de fédérer, il faut sans attendre, procéder à une évaluation sans complaisance puis à une réactualisation de tout notre système de gestion des risques et catastrophes (1).
Antananarivo, 7 mars 2015
(1). L’actuelle stratégie nationale a été mise en œuvre en 1999, et légalisée par la loi n°2003-010 du 5 septembre 2003. Mais le pays ne s’est pas suffisamment intégré dans le cadre d’action du Hyogo (élaboré à la suite du Tsunami de 2004)