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Madagascar et Comité des Droits de l’Homme. La note d’Amnesty International pour la 120è session à Genève

Amnesty International est un mouvement mondial réunissant plus de sept millions de personnes qui agissent pour que les droits fondamentaux de chaque individu soient respectés.

La vision d’Amnesty International est celle d’un monde où chacun peut se prévaloir de tous les droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans d’autres textes internationaux relatifs aux droits humains.

Essentiellement financée par ses membres et les dons de particuliers, Amnesty International est indépendante de tout gouvernement, de toute tendance politique, de toute puissance économique et de tout groupement religieux.

1. INTRODUCTION

Amnesty International adresse la présente note au Comité des droits de l'homme des Nations unies (le Comité) en amont de l'examen par celui-ci du quatrième rapport périodique de Madagascar sur sa mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Cette communication ne constitue pas un compte-rendu exhaustif des préoccupations d’Amnesty International et concerne en premier lieu les questions relatives au droit à la vie (questions 6, 7 et 8), aux pratiques traditionnelles discriminatoires (question 9), au droit à la liberté et à la sécurité des personnes (questions 16 et 19) et au droit à la liberté d'expression (question 24).

2. EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES (ARTICLE 6)

Amnesty International s’inquiète des allégations selon lesquelles des exécutions extrajudiciaires auraient été perpétrées par des agents de la force publique, souvent dans le cadre de banditisme lié au vol de bétail dans le sud du pays. Des témoins ont signalé à Amnesty International qu’en 2012, des personnes âgées, des personnes handicapées, des enfants et d’autres personnes se trouvant dans l'incapacité de fuir leur domicile ont été brûlés vifs quand les forces de sécurité ont incendié des villages sans aucun discernement dans le cadre de l’opération militaire « Tandroka » (1). Il existe peu d’information sur les enquêtes conduites et les poursuites entamées jusqu’à présent, sur les condamnations et les sanctions imposées aux responsables et sur les réparations accordées aux victimes (2).

(1) https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2012/11/madagascar-must-end-mass-killings-and-investigate-security-forces/

(2) Amnesty International avait déjà émis ces recommandations en 2011, https://www.amnesty.org/fr/documents/document/?indexNumber=afr35%2f001%2f2011&language=en

Amnesty International a également reçu des informations faisant état d’actes de vengeance perpétrés par des agents de la force publique après des épisodes où la foule a cherché à faire justice elle-même et des lynchages d’autres membres des forces de police. En février 2017 à Antsakabary, des policiers auraient brûlé cinq villages après le meurtre de deux agents par des villageois. Une femme âgée est morte de ses brûlures à la suite de cette attaque. La Commission nationale indépendante des droits de l’homme a mené une enquête qui a mis en lumière la responsabilité des agents de police dans la mise à feu des villages, mais le gouvernement n’a communiqué aucune information sur une enquête et des poursuites à l’encontre de ces policiers, ni sur des réparations accordées aux victimes.

Amnesty International s’inquiète toujours du fait que les autorités n’ont pas pris les mesures nécessaires pour empêcher les foules de chercher à faire justice elles-mêmes et pour arrêter les lynchages de personnes soupçonnées de crimes. L’organisation s’inquiète également de l’absence d’enquêtes, de poursuites et de sanctions vis-à-vis des responsables présumés.

RECOMMANDATIONS À L’ÉTAT PARTIE

* Amnesty International appelle l’État partie à conduire une enquête approfondie, indépendante et impartiale sur les allégations d’exécutions extrajudiciaires, y compris sur les agents ayant ordonné, cautionné ou commis ces exactions, afin de déterminer les circonstances dans lesquelles elles ont été perpétrées, de rendre publiques les conclusions des enquêtes, de traduire en justice les responsables présumés dans le cadre de procès équitables qui respectent les normes internationales, et de garantir que les victimes reçoivent des réparations adéquates.

3. COMMISSION NATIONALE DES DROITS DE L’HOMME

Amnesty International se réjouit de la création d’une commission nationale des droits humains mais s’inquiète du fait que cette Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) ne dispose pas du budget suffisant pour remplir sa mission au regard des Principes de Paris.

RECOMMANDATIONS À L’ÉTAT PARTIE

* L’État partie doit s’assurer que la Commission nationale a les financements adéquats pour s’acquitter efficacement de son mandat.

4. DROIT À LA LIBERTÉ D’EXPRESSION (ARTICLE 19)

Amnesty International est préoccupée par les menaces persistantes qui pèsent sur la jouissance du droit à la liberté d’expression à Madagascar. Selon des informations reçues par l’organisation, les journalistes et les défenseurs des droits humains seraient toujours victimes d’actes d’intimidation, de menaces et de harcèlement de la part des autorités et d’autres personnes en position d’autorité, pour tenter de les réduire au silence et d’entraver leur travail en faveur des droits humains. Amnesty International s’inquiète tout particulièrement du fait que les personnes qui osent s’élever contre le trafic illicite de ressources naturelles sont ciblées en raison de leur travail par ceux-là mêmes qui profitent de ce trafic et par d’autres personnes influentes.

Amnesty International se réjouit des efforts de Madagascar visant à dépénaliser la diffamation mais l’organisation est préoccupée par le fait que des journalistes continuent à être persécutés en étant poursuivis en justice, le système pénal étant utilisé pour cibler et réduire au silence ceux qui critiquent le gouvernement ou d’autres personnes en position d’autorité. La loi n° 2016-031 (3) a modifié la loi sur la cybercriminalité afin que l’article 20 ne pénalise plus la diffamation, mais cet article prévoit encore de lourdes amendes en cas de diffamation ou d’outrage à toute une série de personnes publiques, notamment les membres des forces armées, les membres du gouvernement, les juges ou les membres de l’Assemblée parlementaire.

Les lanceurs d’alertes qui ont révélé des informations sur les atteintes aux droits humains continuent à être persécutés pour des infractions telles que la «diffamation», le «trouble à l’ordre public» ou la «rébellion contre l’État», en violation des droits à la liberté d’expression et d’information. De plus, l’organisation s’inquiète du fait que les personnes condamnées en vertu du nouveau Code de la communication (4) reçoivent de lourdes amendes et que la perspective de ces possibles sanctions imposées dans le cadre des poursuites prévues par le code réduit la liberté d’expression.

Clovis Razafimalala, un militant écologiste ayant dénoncé le trafic illicite de bois de rose et d’autres essences de bois dans le cadre de son rôle de coordinateur de la coalition Maroantsetra Lampogno, a été arrêté pour la destruction présumée de biens et de documents publics au cours d’une manifestation à laquelle il n’a pas participé. Il a par la suite été inculpé de rébellion, de destruction de documents et de biens publics et d’incendie volontaire (5). Clovis Razafimalala est en détention préventive depuis plus de neuf mois et Amnesty International considère qu’il est la cible d’accusations forgées de toutes pièces afin d’entraver ses activités militantes écologistes.

(3) http://www.assemblee-nationale.mg/wp-content/uploads/2016/07/Loi-n%C2%B02016-031_fr.pdf

(4) https://www.amnesty.org/fr/countries/africa/madagascar/report-madagascar/

(5) https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2017/03/madagascar-free-environmental-activist-detained-for-political-reasons/

RECOMMANDATIONS À L’ÉTAT PARTIE

* Amnesty International demande à l’État partie de répondre efficacement aux menaces, aux attaques et aux actes de harcèlement et d'intimidation visant des défenseurs des droits humains et des journalistes, notamment en menant dans les meilleurs délais des enquêtes approfondies et indépendantes sur les atteintes aux droits humains qu'ils subissent, en traduisant les responsables présumés en justice dans le cadre de procès équitables et en offrant des recours effectifs et des réparations adéquates aux victimes.

* Amnesty International demande à l’État partie de ne pas poursuivre pénalement des individus pour l’exercice pacifique de leurs droits humains, notamment le droit à la liberté d'expression, et de veiller à ce que le système judiciaire ne soit pas détourné pour cibler ou harceler des journalistes et des défenseurs des droits humains.

* Abroger ou modifier la loi sur la cybercriminalité qui restreint le droit à la liberté d’expression en imposant de lourdes amendes dans les affaires de diffamation.

* Libérer Clovis Razafimalala immédiatement et sans condition, car il s'agit d'un prisonnier d'opinion détenu uniquement en raison de ses activités pacifiques de défense des droits humains.

5. PRATIQUES TRADITIONNELLES NÉFASTES ET DISCRIMINATION À L’ÉGARD DES JUMEAUX DANS LE DISTRICT DE MANANJARY (ARTICLES 2 ET 24)

Amnesty International s’inquiète du fait que des jumeaux continuent de subir des discriminations et sont abandonnés par leurs parents, malgré les efforts de l’État partie, en partenariat avec le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), pour combattre la croyance populaire présente dans le district de Mananjary selon laquelle les jumeaux (ou autres naissances multiples) portent malchance, efforts menés en particulier au travers d’actions de sensibilisation. Contrairement à la réponse de l’État partie à la liste de points (paragraphe 55) (6), d’après les informations reçues par Amnesty International, de nombreux parents et d’autres membres de la communauté sont prêts à remettre en cause la croyance traditionnelle selon laquelle la naissance de jumeaux est une malédiction et choisissent de garder leurs jumeaux, malgré leur stigmatisation et leur exclusion de la communauté, mais subissent la pression des chefs villageois locaux d’abandonner leurs enfants.

L’État n’a pas fourni d’informations sur les mesures complémentaires qu’il compte prendre eu égard à la position adoptée par les chefs villageois ampajankas consistant à ne pas accorder leur bénédiction aux parents qui décident de garder leurs jumeaux.

RECOMMANDATIONS À L’ÉTAT PARTIE

* Amnesty International demande à l’État partie d’offrir une protection efficace aux jumeaux et autres enfants issus de naissances multiples dans le district de Mananjary et de protéger le droit de ces enfants à la vie et à ne pas subir de discrimination, conformément aux obligations et engagements internationaux de Madagascar en matière de droits humains.

* L’État partie doit prendre immédiatement des mesures pour combattre les croyances néfastes superstitieuses qui perpétuent les atteintes aux droits humains à l’encontre d’enfants issus de naissances multiples.

((6) http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CCPR%2fC%2fMDG%2fQ%2f4%2fAdd.1&Lang=fr

6. RECOURS EXCESSIF À LA DÉTENTION PRÉVENTIVE, ET CONDITIONS DE DÉTENTION (ARTICLES 9 ET 10)

D’après les informations reçues par Amnesty International, la détention préventive prolongée reste fréquente à Madagascar, où plus de la moitié des détenus sont toujours en attente de leur procès, certains depuis des années. Même si la loi n° 2007-021 du 30 juillet 2007 (7) a modifié le Code de procédure pénale pour souligner le caractère exceptionnel de la détention préventive, la détention préventive prolongée reste souvent la norme.

La surpopulation carcérale est forte et les conditions de détention restent déplorables. Amnesty International s’est entretenue avec des détenus qui ont évoqué la malnutrition, la peur d’être empoisonné en détention et les difficultés d’accéder aux soins médicaux dont ils ont besoin.

RECOMMANDATIONS À L’ÉTAT PARTIE

* Amnesty International appelle l’État partie à accroître ses efforts pour améliorer les conditions carcérales, notamment en prenant des mesures pour combattre la surpopulation et la malnutrition, conformément à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Mandela), et pour réduire le nombre de personnes en détention préventive.

* Amnesty International demande à l’État partie de veiller à ce que la détention préventive soit une mesure exceptionnelle prise uniquement en dernier recours et fondée sur la détermination au cas par cas de sa nécessité et de son caractère proportionnel, en tenant dûment compte de l’enquête sur l’infraction présumée, ainsi que de la protection de la victime et des droits des autres personnes.

7. DÉPENALISATION DE L’AVORTEMENT

Amnesty International s’inquiète vivement du fait que l’avortement et la communication d’informations relatives à l’avortement restent des infractions pénales dans l’État partie, compte tenu notamment qu’on estime que 16% de la mortalité maternelle fait suite à des avortements pratiqués dans des conditions dangereuses. Dans son rapport, Madagascar indique que l’avortement peut être puni par une amende au lieu d’une peine de prison.

Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a déclaré, dans sa recommandation générale n° 24 sur les femmes et la santé, qu' « il est discriminatoire pour un État partie de refuser de légaliser certains actes concernant la reproduction » (8). Le Comité a par ailleurs déclaré que les lois restrictives sur l'avortement constituent une forme de discrimination à l’égard des femmes (9).

Amnesty International considère que les lois qui pénalisent ou punissent les femmes et les jeunes filles pour avoir recours à des avortements, ou bien d’autres personnes, comme les fournisseurs de soins de santé, qui aident ces femmes et ces jeunes filles, sont discriminatoires (10). Les recherches menées par Amnesty International dans différents pays ont montré que la pénalisation de l’avortement et de la communication d’informations en la matière entravent l’accès des femmes et des jeunes filles aux soins de santé et leur jouissance au droit à la santé et à leurs autres droits sexuels et reproductifs11. Amnesty International appelle l’État partie à dépénaliser la mise à disposition d’informations relatives à l’avortement et l’offre de services en la matière en toutes circonstances.

(7) http://www.assemblee-nationale.mg/?loi=loi-n2007-021&lang=fr

(8) Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, Recommandation générale n° 24 sur les femmes et la santé (1999), § 11.

(9) Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, LC c. Pérou (2011) ; Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, Recommandation générale n° 19 sur la violence à l’égard des femmes (1992), § 24(m).

(10) https://www.amnesty.org/fr/what-we-do/sexual-and-reproductive-rights/

(11) https://www.amnesty.org/en/documents/AMR43/001/2009/fr/;

https://www.amnesty.org/en/documents/AMR29/003/2014/fr/;

https://www.amnesty.org/en/documents/eur29/1597/2015/fr/

RECOMMANDATIONS À L’ÉTAT PARTIE

* Dépénaliser la mise à disposition d’informations relatives à l’avortement et l’offre de services en la matière en toutes circonstances.

* Abroger l’article 89 de la loi n° 2011-002 du 15 juillet 2011 (12), qui interdit à différents types de professionnels de la santé de « procéder à une Interruption Volontaire de Grossesse ou de favoriser un avortement » ou d’indiquer comment se faire avorter, et qui impose les sanctions prévues par l’article 317 (13) du Code pénal. L’article 317 prévoit des peines pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement (ou 10 ans si la personne pratique des avortements de manière habituelle) et de lourdes amendes, sauf dans des circonstances limitées prévues par la loi applicable. Par ailleurs, l’article 317 prévoit que les différents types de professionnels de la santé pourront être suspendus pendant cinq ans au moins ou pourront recevoir une interdiction absolue d’exercer leur profession.

* Modifier toutes les lois relatives à l’offre et l’obtention de services en matière d’avortement et supprimer les obstacles juridiques, administratifs et pratiques à l’accès à des services d’avortement en toute sécurité et de façon légale.

* S’assurer que le cadre législatif garantit l'accès à l'avortement en droit et en pratique, au minimum dans les cas où la grossesse constitue une menace pour la vie ou la santé physique ou mentale de la femme ou jeune fille enceinte, dans ceux où le fœtus présente une malformation grave et mortelle et dans ceux où la grossesse résulte d'un viol ou d'un inceste.

* Fournir des informations à jour expliquant où en est la proposition visant à faire de l’avortement une infraction mineure, comme mentionné dans le quatrième rapport périodique de l’État partie (CCPR/C/MDG/4, paragraphe 142) et préciser si cette disposition s’appliquerait également aux professions de santé.

* Garantir que toutes les femmes et les jeunes filles ont accès à des informations, des services et des produits en matière de santé sexuelle et reproductive, notamment des méthodes de contraception modernes (y compris la contraception d'urgence) et une éducation sexuelle exhaustive, à la fois au sein de l’école et en-dehors.

* Respecter les recommandations émises par le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes dans ses observations finales concernant les sixième et septième rapports périodiques de Madagascar soumis en un seul document (CEDAW/C/MDG/CO/6-7), consistant à « missionner, soutenir et financer des études et la collecte de données sur l’ampleur, les causes et les conséquences des avortements illégaux et pratiqués dans des conditions dangereuses ainsi que leur incidence sur la santé et la vie des jeunes filles et des femmes » (14).

((12) http://www.assemblee-nationale.mg/lois/2011-002.pdf

(13) https://www.imolin.org/doc/amlid/Madagascar_Code_penal_annexes.pdf

(14) http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CEDAW/C/MDG/CO/6-7&Lang=fr

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mis à jour ( Samedi, 15 Juillet 2017 08:14 )  
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