D’accord, le premier réflexe du journaliste est de chercher la petite bête. Parfois même, on nous traite de « fouille merde ». Mais quel est le vrai but dans cette démarche sinon de faire jaillir des vérités souvent pas bonnes à dire, sinon cachées intentionnellement ? Concernant la nomination de Christian Ntsay pour succéder au Premier ministre de combat, Olivier Mahafaly Solonandrasana, qui a donc battu en retraite avec un « au-revoir » énigmatique, mon approche, ici, sera inhabituelle car elle va bousculer vos a priori, vos sous-entendus et vos préjugés.
A l’annonce du nom de Christian Ntsay, les réactions, en général, ont été aussi humaines que les erreurs (errare humanum est), avant-hier plus qu’aujourd’hui. Que ce soit dans la rue, dans les chaumières et, surtout, sur les réseaux sociaux, principalement l’incontournable Facebook. Et le refrain gratuit de la trahison, que j’ai entendu depuis des décennies de lutte contre les injustices, est monté crescendo. Il faut avouer que moi-même j’ai été surpris car rien n’avait été annoncé, au préalable, sur la place du 13 mai. Évidemment que tout le monde a donc été pris de court. Surtout que les Malgaches ont la mauvaise manie de prendre pour argent comptant la moindre contrariété. Surtout lorsque le filoha Hery a fait allusion à un « accord politique », le matin du 4 juin 2018. Mais je ne suis pas journaliste d’investigation historique pour rien.
Ainsi, en dehors de ce que stipule l’article 54 de la Constitution de la IVème république de Madagascar (c’est sur Internet, comme l’a suggéré le grand général de Corps d’Armée, ministre de la Défense désormais déchu, avec son histoire de situation d’exception), j’ai retrouvé des explications de Sahondra Rabenarivo, juriste, au sujet de cette nomination de Premier ministre, qui fait dire n’importe quoi à n’importe qui, et particulièrement aux créatures du parti Hvm parti pour disparaître à jamais. « En février 2014, la HCC a émis un avis indiquant que «la notion de majorité pour la présentation du Premier ministre ne saurait résulter d’une coalition post-électorale de partis mais plutôt d’un constat issu des résultats définitifs proclamés par la Cour électorale spéciale ». Ce qui signifie que ce sont les résultats issus des élections législatives de 2014 qu'il faut prendre en compte. Moment où le Mapar était majoritaire ».
Dans la foulée, surtout aussi dans le feu de l’action, une liste de noms a été envoyée au président Rajaonarimampianina qui l’a rejeté comme s’il s’agissait d’un buisson ardent (où ai-je trouvé cette image ? Je ne sais pas, c’est passé comme çà dans ma tête, mais elle brûle. Pas ma tête, l’image). Parmi les noms, des ténors du Mapar dont Christine Razanamahasoa, Roberto Tinoka, Jean Brunelle Razafintsiandraofa. Mais aussi Me Hanitra Razafimanantsoa du parti Tim de Marc Ravalomanana. Entre nous, je ne dis pas que ces politiciens ne pourraient pas être à la hauteur de la tâche, mais dans le domaine de la haute politique, c’est le cerveau qui doit primer et non les sentiments. Et puis, il faut savoir que poursuivi par ses propres turpitudes, le filoha Hery a eu peur que s’il nomme l’un d’entre eux, sa descente aux enfers sera immédiate. Jamais il n’osera nommer, par exemple, Christine Razanamahasoa, après tout le mal qu’il lui a fait. A savoir : éjection de sa place de présidente de l’Assemblée nationale, en 2014, alors qu’il l’avait hypocritement félicité, et éjection sauvage de la résidence administrative d’Amparibe, quatre ans plus tard. Entre nous, encore, même moi, je n’aurai pas été d’accord. Cela aurait fait le titre d’un film, genre « Vengeance flagrante » …
Mais il faut également que les gens (l’opinion publique quoi !) comprennent que « le Mapar présente le PM » ne signifie pas que celui-ci doit automatiquement faire partie de cette entité. Sur un autre plan, l’article 4 de la décision n°18-HCC/D3 de ce 25 mai 2018 est limpide : Le Président de la République met fin aux fonctions du Gouvernement et procède à la nomination d’un Premier Ministre de consensus, dans un délai de 7 jours pour compter de la publication de la présente Décision, sur une liste d’au moins trois noms, conformément aux dispositions de l’article 54 de la Constitution  et aux termes de l’Avis n°01-HCC/AV du 17 février 2014 portant interprétation des dispositions de l’article 54 de la Constitution et sur la base de l’Arrêt n°11-CES/AR.14 du 06 février 2014 portant proclamation officielle des résultats définitifs des élections législatives de la 4ème République.
Premier ministre de « consensus ». La définition exacte de ce mot est : accord général -tacite ou manifeste- parmi les membres d'un groupe, pouvant permettre de prendre une décision sans vote préalable. En malgache, c’est le « marimaritra iraisana » souvent mal compris, mal interprété. Mais ce qui a pesé dans la balance de ce consensus -il ne faut pas se voiler la face-, c’est la position de la communauté internationale qui a, en quelque sorte, donné son feu vert pour ce fonctionnaire international au sein de l’OIT (Organisation internationale du Travail, branche de l’ONU) depuis une décennie. Et, à présent, il faut savoir ce que les Malgaches veulent exactement. Parce que c’est bien de se la jouer au sentiment, de dénigrer à -tout-va, mais quand on n’a pas les moyens de son orgueil mal placé, le silence est plus que préférable. Le degré de l’immixtion ou non de la communauté internationale dans une « affaire » nationale dépend du degré de perception de tout un chacun. Mais il ne faudra jamais perdre de vue que c’est cette communauté internationale qui contribue le plus au financement des élections passées et à venir à Madagascar. Jusqu’à preuve du contraire.
Sur un autre plan, je vous assure que la seconde liste proposée au filoha Hery comprend une douzaine de noms, en moyenne deux par province (Antananarivo, Antsiranana, Fianarantsoa, Mahajanga, Toamasina et Toliara). Le choix n’a donc pas été facile et aucun n’a démérité. Mais pourquoi Christian Ntsay alors ? A mon avis, et il compte réellement car je le connais depuis 1988, ce Premier ministre ira jusqu’au bout de sa mission ou bien il démissionnera. A l’époque, j’étais déjà journaliste et il était de le Daf (Directeur administratif et financier) de la Secren à Antsiranana (Diego) où en 1991, j’ai été pris en otage par les fédéralistes. Christian Ntsay est un homme droit, efficace et qui n’a pas peur de dire haut ce que les autres pensent tout bas, pour faire avancer les choses. Ce que vous ne lirez pas dans son CV, c’est qu’il est issu d’une famille modeste d’Ambilobe du côté de Matsabory Ledama… De confession catholique, il a foi en autrui et possède un altruisme que peu de dirigeants possèdent à Madagascar. C’est quelqu’un d’honnête et d’intègre qui a traversé cinq régimes successifs sans être inféodé à aucun. Je parle ici de parti politique.
Mais je n’ai pas à lui jeter des fleurs ici et je n’affirmerai pas que c’est, comme on dit, « The right man at the right place ». Notez que cette phrase est un principe de management de Jean Todt, le président de la FIA (Fédération Internationale de l’Automobile : la bonne personne au bon endroit. Pour moi, Christian Ntsay est un « self-made man » humain et humaniste qui entend contribuer au développement réel de son pays. Personne ne dit que sa tâche sera facile au milieu d’un tas de requins qui ne penseront qu’à remplir leurs poches. Il aura fort affaire pour former un gouvernement dont la principale mission sera l’organisation d’une élection présidentielle anticipée. Certainement qu’il a déjà une tonne de CV devant lui et il est certain que des tas de gens, certains disparus depuis fort longtemps, le contactent. Mais Christian Ntsay, grand basketteur et guitariste à ses heures perdues, n’est pas quelqu’un que l’on impressionne facilement. Il sait sur quels critères choisir les membres du nouveau gouvernement, il a une idée de leur nombre et sait quels objectifs leur assigner. En matière de leadership, ce n’est pas à ce vieux (façon de parler) singe qu’il faudra apprendre à faire la grimace.
En effet, le 4 avril 2017, à Genève, le Directeur général du BIT (Bureau international du Travail), Guy Ryder, lui a attribué le premier « Prix du Leadership ». Au sein de l’OIT, tous ont été convaincus de son leadership exceptionnel, de son dévouement et de son attachement aux valeurs de cette entité. Et, pour lui-même, ce prix du Leadership est « le fruit de 26 années de travail, de rigueur, d’intégrité, de partage et de culture d’excellence auxquels il s’est toujours astreint tout au long de son parcours au BIT ». Certains diront que ce n’est pas le même domaine. Certainement, mais ce qui disent cela sont des nullards. Il est bon, alors, qu’ils sachent -et les autres aussi- que le leadership est « l’influence à la fois politique, psychologique, sociale, d'un individu ou d'un groupe d'individus sur un groupe ou un autre groupe. Le leader a des compétences personnelles qui lui confèrent une différence et qui lui permet d'être écouté et suivi par un groupe de personnes » (in Wikipédia).
J’ai bien peur que les politiciens malgaches correspondant à cette définition se comptent sur les doigts de la main. Et c’est ici que je place mon philosophe grec favori, Socrate (v. 470-v. 399 av. J.-C.), qui a écrit : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien, tandis que les autres croient savoir ce qu’ils ne savent pas ». La dernière phrase s’applique à un nombre incalculables d’internautes, en majorité malgaches, sur Facebook. Il est grand temps qu’on cesse d’être des sangsues bon sang ! Oui, c’est un mauvais jeu de mot à partir de « consensus » mais c’est plus potable que cons sens dessus-dessous. Non ? Mais Socrate, ce n’est pas seulement les deux phrases citées plus haut. Il est également l’auteur de ce qui suit : « Les grands esprits discutent des idées ; les esprits moyens discutent des évènements ; les petits esprits discutent des gens ». Dans quelle catégorie vous trouvez-vous ?
Pour ma part, bien que l’on ne se soit jamais perdu de vue, je suivrai de très près Christian Ntsay, Premier ministre de consensus de Madagascar depuis le 4 juin 2018. Il le sait. Déjà , l’heure n’est pas aux félicitations mais au… travail.
Pour ce qui est du devenir immédiat du filoha Hery ? Pas la peine d’être un devin : sa disparition du paysage politique malgache est en bonne voie.
Jeannot Ramambazafy –Article également publié dans « La Gazette de la Grande île » du mercredi 6 juin 2018