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Marc Ravalomanana : l’Histoire n’oublie jamais les accords non respectés de Dakar

Lors du premier face-à-face des candidats Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana, le dimanche 9 décembre 2018, ce dernier n’a eu cesse de s’enraciner dans l’année 2009 et sur le « putsch » (« fanongam-panjakana »). Cette mauvaise digestion se reflète sur son physique de jeune premier devenu vieux dernier… Les téléspectateurs ont constaté de visu qu’il a définitivement perdu son aura d’American Celeb de la fin des années 1990. Mais de là à devenir subitement amnésique sur ce qu’il a lui-même fait au président Didier Ratsiraka, c’est soit de la mauvaise foi érigée en manière de penser ; soit un début de la terrible maladie d’Alzheimer (une fois je me souviens, une fois je ne me souviens plus). Ce qui apparaîtrait normal à l’approche de ses 69 ans, ce mercredi 12 décembre justement. Happy birthday Dadabe, tout de même !

Aujourd’hui, je vais lui rafraîchir la mémoire et celle des fanatiques qui ne raisonnent plus mais applaudissent même lorsque leur dieu sert des mensonges gros comme des camions américains (Kenworth, vous connaissez pas ?) à propos du financement de l’Hôtel de ville d’Antananarivo ou en ce qui concerne les années du début et de la pratique des délestages, qui sont : 2004-2005-2006-2007. Remontons alors vers l’année 2002, il y a 16 ans à présent, et même plus loin encore.

L’accord de réconciliation signé le 18 avril 2002 à Dakar par le président sortant Didier Ratsiraka et le candidat Marc Ravalomanana -qui s’était autoproclamé le 22 février 2002 à Mahamasina- prévoit un nouveau décompte des voix du premier tour de l’élection présidentielle du 16 décembre 2001. L’une des conditions essentielles à sa mise en œuvre était la levée immédiate des barrages entourant Antananarivo. Car les partisans de Ratsiraka maintenaient alors un blocus ayant asphyxié la capitale malgache, ajouté au dynamitage de ponts commencé la nuit du 28 mars 2002 par celui de Fatihita sur la RN7.

A son crédit, pourtant, une « success story » réelle.  Marc Ravalomanana est un fils de paysans du village d’Imerikasinina. La légende dit qu’étant jeune, il vendait des yaourts à bicyclette avec sa femme.  Autodidacte, il a suivi des formations dans la filière agroalimentaire aux États-Unis, en Suisse et au Danemark. Soudain, la chance, le « miracle » ! En effet, en 1982, la Banque mondiale lui octroie plus de 1,5 million USD (1,7 million d’euros à l’époque) pour booster son entreprise familiale de yaourts, la société Tiko. En ce temps, tous les Malgaches s’étaient émerveillé du succès inattendu de ce « self-made-man », comme Ravalomanana aimait à se définir lui-même. Au-delà des océans (« andafin-driaka »), son allure BCBG (bon chic bon genre) et la gestion « irréprochable » de son entreprise ont donné confiance aux industries internationales et aux bailleurs de fonds, comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. La société Tiko était devenue la première entreprise spécialisée dans la fabrication de produits laitiers, d’huile alimentaire et de boissons non alcoolisées.

Tiko assurait des activités liées à la grande distribution, avec une distribution qui couvrait tout le territoire malgache. Ce qui a son importance en période électorale… Nouveau venu en politique, il s’était déjà payé, par deux fois, une campagne « à l’américaine » pour parvenir au pouvoir, en utilisant l’image de marque et les fonds de son entreprise. Marc Ravalomanana a distribué des milliers de pots de yaourts Tiko pour faire sa promotion lors de la course à la mairie de la Capitale, qu’il a remportée en 1999.

Quelques mois avant les élections présidentielles du 16 décembre 2001, il « s’est payé » aussi le soutien des Eglises, la FJKM (église protestant réformée) surtout, très influentes à Madagascar, et a augmenté ses moyens de propagande par une chaîne de télévision privée et flambant neuve, la MBS (Malagasy Broadcasting System), tout en installant un réseau de radios.

Mais, au fil du temps, ses méthodes de gestionnaire et le fonctionnement de son entreprise ont commencé à intriguer les spécialistes étrangers. « Le groupe Tiko, nébuleuse financière fondée avec l’appui de la Société financière internationale (SFI-Banque mondiale) au milieu des années 80, a été créé avec le soutien de multinationales comme Unilever et Tetra Laval, numéro un mondial de l’emballage », souligne le magazine « Afrique Express ».

On a découvert alors que les nombreux partenaires industriels de la société Tiko remontent au nord, dans des pays aussi variés que les États-Unis, le Canada, la Hollande, la Suède, le Danemark et l’Allemagne. Des pays s’intéressant aux indices de croissance économique, prometteurs de la Grande Ile. Et surtout des pays qui ont (toujours) des vues intéressées sur la main-d’œuvre malgache, très bon marché, et les nouvelles zones franches malgaches produisant des textiles. Ou encore, sur ses minerais précieux: saphir, chrome, titane, mica…

Comment alors Marc Ravalomana a-t-il financé sa campagne (celle de 2001, bien sûr) ? Avait-il été soutenu par des intérêts anglo-saxons ? Une question primordiale à l’heure où des réseaux concurrents tentaient de trouver une issue à la crise malgache de 2002. Dans le camp du président sortant Didier Ratsiraka, on restait persuadé que le « roi du yaourt » avait bel et bien profité de financements extérieurs pour mener sa campagne. « Les rumeurs lui prêtent des liens avec des hommes d’affaires sud-africains blancs, avec des Églises protestantes allemandes », mentionne un article dans « Le Monde ». Mais les enquêtes ne sont jamais allées plus loin.

Quels ont été les appuis financiers étrangers de Marc Ravalomanana qui, depuis le début (mais personne ne s’était rendu compte, tous aveuglés par l’euphorie d’avoir un candidat loin de la rigueur militaire de l’Amiral) a mélangé business et politique ? Au niveau de la politique internationale, il faut se diriger dans trois principales directions. D’abord les milieux chrétiens, surtout protestants. Ensuite, le monde des affaires. Enfin, les pays non francophones. Parmi les réseaux chrétiens, les Norvégiens – et plus généralement les pays d’Europe du Nord comme la Scandinavie- admiratifs devant le succès du businessman malgache, ainsi que les valeurs chrétiennes qu’il véhiculait. Pour le monde des affaires, il y a Tetra Laval et l’Afrique du Sud. Parmi les autres pays entrant en concurrence avec la France, citons l’Allemagne, « protestantisme oblige ». Très sollicité, Marc Ravalomanana avait reçu de ce pays « une usine clés en mains » et toute une panoplie de véhicules Mercedes haut de gamme. Quoi qu’il en soit, c’est un secret de Polichinelle que de cacher que Marc Ravalomanana a toujours été soutenu par les lobbies américains, comme Ratsiraka était soutenu par les Français.

Malgré tout cela, le 25 janvier 2002, la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) déclare Marc Ravalomanana en tête avec « seulement » 46,21% des voix exprimées, contre 40,89% à Didier Ratsiraka. Elle convoque alors un second tour. Mais, estimant avoir obtenu plus de la moitié des voix, Marc Ravalomanana rejette ce résultat et appelle à une grève générale illimitée. Mot d’ordre : « Premier tour dia vita ! ». La colère commence alors à gronder, prémices de ce qui sera connue mondialement comme la crise de 2002 à Madagascar. Le 22 février 2002 -poussé la veille par la foule de la place du 13-Mai, qui avait rejeté les propositions de l’ancien président Zafy Albert, pour un second tour- Marc Ravalomanana s’autoproclame président de la république à Mahamasina, et nomme un gouvernement parallèle. Didier Ratsiraka fait alors dynamiter les ponts entourant la capitale malgache pour l’asphyxier économiquement. Sur la RN1, un barrage est même dressé sur le pont à proximité de Brickaville, qui est soudé.

Le 18 avril 2002, sous l’égide de l’OUA (Organisation de l’unité africaine qui deviendra UA – Union africaine en juin 2003), un accord est alors conclus à Dakar, qui prévoit un gouvernement de réconciliation et un référendum dans un délai de six mois si aucun des candidats n’a obtenu la majorité après un nouveau décompte des voix. Voici la teneur de cet accord:

Didier Ratsiraka, président de la République, candidat à la présidence de la République de Madagascar, d’une part, Marc Ravalomanana, candidat à la présidence de la République de Madagascar d’autre part,

Sous les auspices de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), représentée par son secrétaire général, M. Amara Essy, et de l’ONU, représentée par M. Ibrahima Fall, représentant personnel du Secrétaire Général, tous assistés des chefs d’Etat facilitateurs soussignés,

Sont convenus d’arrêter ce qui suit:

Vu l’arrêt n° 4 du 16 avril 2002 de la Chambre administrative de la Cour Suprême dont l’application implique un nouveau décompte contradictoire des voix.

Article 1. Les parties conviennent que dans l’hypothèse où aucun candidat n’a obtenu la majorité requise pour être élu au premier tour de scrutin, un référendum populaire portant sur le choix entre les deux candidats sera organisé avec l’assistance des Nations Unies, de l’OUA, de l’Union Européenne et de la communauté internationale dans un délai de six mois au maximum.

Article 2. Dans ces conditions, un gouvernement de réconciliation nationale de transition sera mis en place selon les principes suivants:

– Le Premier ministre sera désigné d’un commun accord entre M. Didier Ratsiraka et M. Marc Ravalomanana.

– Sur les cinq ministères de souveraineté, M. Ravalomanana proposera deux personnalités à l’Intérieur et aux Finances.

– Tous les autres membres du gouvernement seront désignés d’un commun accord, à raison de la moitié par M. Didier Ratsiraka et l’autre moitié par M. Marc Ravalomanana.

Article 3. Les deux parties conviennent, dès la proclamation des résultats, de mettre en place un Conseil supérieur de la transition, dont la mission est de veiller au bon déroulement de la transition. M. Marc Ravalomanana est désigné en qualité de président de cette institution, avec rang protocolaire de deuxième personnalité de l’État.

Article 4. A la place de l’actuel Comité national électoral (CNE), il est créé une Commission électorale indépendante chargée de la préparation et de l’organisation de la consultation populaire.

Article 5. MM. Didier Ratsiraka et Marc Ravalomanana s’engagent, dès la signature du présent accord, à faire respecter la liberté de circulation des biens et des personnes, à arrêter immédiatement toutes les menaces et violences sur les personnes et les biens ainsi que le dynamitage des ponts et à lever tous les barrages sur toute l’étendue du territoire national.

Fait à Dakar, le 18 avril 2002

Suivent les signatures de : M. Didier Ratsiraka, M. Marc Ravalomanana, M. Amara Essy, secrétaire général de l’OUA, M. Ibrahima Fall, représentant personnel du Secrétaire général, Abdoulaye Wade, président de la République du Sénégal, au nom du groupe des chefs d’État

Facilitateurs: Mathieu Kérékou (Bénin), Laurent Gbagbo (Côte d’Ivoire), Joaquim Alberto Chissano (Mozambique)

Il y avait encore eu Dakar II, en juin 2002. Mais ce second round des négociations -auquel avaient participaient notamment les présidents Abdoulaye Wade (Sénégal), Denis Sassou Nguesso (Congo), Laurent Gbagbo (Côte d’Ivoire), et Blaise Compaoré (Burkina Faso), ainsi que le Secrétaire général de l’OUA, Amara Essy et Ibrahima Fall, représentant le Secrétariat général de l’ONU-, n’a pas permis de trouver la solution idoine à la crise.

Car Marc Ravalomanana, fort du soutien du peuple, en fera fi. Pour lui, il a eu la victoire au premier tour. « Je ne suis pas un Africain et les Africains n’ont pas à me donner des ordres », avait-il déclaré avec véhémence.

Le 29 avril 2002, la HCC accorde alors la victoire à Marc Ravalomanana. Didier Ratsiraka, rejetant la décision proclame l’indépendance de cinq provinces,  avec la mise en place de cinq gouverneurs dont Jean de Dieu Maharante (Toliara), actuel ministre des Postes et Télécommunications du gouvernement du Premier ministre Ntsay Christian. Le 6 mai 2002, Marc Ravalomanana prête à nouveau serment à Mahamasina. Sans grande surprise, les États-Unis seront le premier pays à le reconnaître, suivi de la France avec l’envoi express de Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères. Après la chasse à l’homme ordonnée par Marc Ravalomanana (« Haza lambo »), Didier Ratsiraka s’enfuit à partir de Toamasina, dans un avion affrété par le gouvernement français. Ce sera son premier exil en banlieue parisienne

Voilà comment Marc Ravalomanana est parvenu au pouvoir : à travers un forcing populairement populiste qui ne lui aura pas garanti du tout la stabilité socio-politique. En effet, en 2009, Andry Rajoelina – qu’il a martyrisé en tant que maire élu d’Antananarivo-, lui rappellera que, parfois, l’Histoire est un éternel recommencement mais, lui, Marc Ravalomanana, président démissionnaire fuyard, dans le rôle d’exilé comme Didier Ratsiraka cette fois-là.

Ici, il faut remettre aussi les pendules de l’Histoire à l’heure, à propos des « sanctions financières » sur le régime de transition. Au début du mois de janvier 2009, Jean-Claude Boidin, alors représentant de l’UE à Madagascar, a annoncé, lors d’une conférence de presse : «Après examen de la gestion des finances publiques dans la dernière partie de l’année 2008, les partenaires de l’appui budgétaire ont pensé qu’il fallait obtenir des clarifications du gouvernement sur un certain nombre de transactions budgétaires pour vérifier leur régularité.  Dans l’attente de ces clarifications, ils ont choisi de retarder les paiements de tranches d’appuis budgétaires qui étaient dus à la fin de l’année. Elles concernaient, entre autres, une tranche de 16,2 millions d’euros (pour l’UE) et dont le paiement a été mis en attente. C’est une décision qui a été prise en décembre 2008, qui n’est pas en rapport direct avec les événements de ce mois janvier 2009 ». En réalité, les bailleurs de fonds attendaient des éclaircissements sur la provenance de l’argent ayant servi à l’achat d’un second jet « Air Force One » par Marc Ravalomanana.

La suite ? Il est temps de briser la malédiction qui frappe la Grande île de l’océan Indien depuis l’après Philibert Tsiranana ! Il ne faut qu’il y ait de 2002 bis après le 19 décembre 2018. Et il faudra être très vigilant car Marc Ravalomanana n’a jamais été un homme de parole mais un personnage avec beaucoup de paroles et de visions pseudo-divines qui veut vous faire croire seulement. Et seulement uniquement..

Dossier de Jeannot Ramambazafy également publié dans "La Gazette de la Grande île" de ce mercredi 12 décembre 2018

(Sources: Le Monde 1982, Courrier International – 25 avril 2002-, Madagate 2002, Le Courrier de Genève 2002, Le Nouvel Observateur 2002, Jeune Afrique 2003, 2008)

Mis à jour ( Mercredi, 12 Décembre 2018 15:10 )  
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