Jean Marc Chataigner : Un discours sortant de l’ornière de la diplomatie-hypocrisie-politique de l’autruche
A Antananarivo, le 14 juillet 2009, comme chaque année, a été célébré à la résidence de France à Ivandry. N’ayant pu présenter ses lettres de créances pour cause de crise, le nouvel Ambassadeur Jean Marc Châtaigner a eu le «courage» de dire ses 4 vérités à la Communauté internationale mais aussi à tous, sans exception, impliqués dans cette crise politique. Extraits saillants de ce discours qui sort du jargon des diplomates qui n’ont jamais dit publiquement ce qu’ils ont au fond de leur pensée.
Une confiance excessive à de bonnes paroles technocratiques
« (…) Pour ce qui est de notre poutre (de la parabole biblique de la paille et de la poutre), je pense à la France, je pense à la Communauté internationale. Je pense qu’il faudra aussi qu’on s’interroge sur certaines positions que nous avons pu prendre l’an passé, que nous n’avons pas prises, parce l’important ce n’est pas dans ce qu’on fait mais l’important est aussi dans ce qu’on ne fait pas. Pourquoi sommes-nous restés silencieux quand les choses ont commencé à se détériorer, après l’immense espoir populaire de 2002 (Ndlr : l’auto proclamation de Marc Ravalomanana) ? Pourquoi nos institutions internationales financières n’ont-elles rien dit lorsque l’État a favorisé les intérêts d’un grand monopole privé (Ndrl : la société Tiko devenue un empire économique) ? Il lui a accordé des avantages indus par rapport à ses concurrents. Pourquoi la Communauté diplomatique n’a-t-elle pas protesté ou pas assez énergiquement ou pas suffisamment lorsque les atteintes à l’État de droit se sont multipliées ? Lorsqu’il y a eu des emprisonnements, des arrestations arbitraires et je sais qu’il y en a qui en ont subi qui sont parmi nous. Pourquoi n’avons pas protesté assez fort lorsque des entraves ont été mises à la liberté de la presse et d’expression et lorsque, parfois, la peur -certains d’entre vous l’ont dit- ont gagné les cœurs ? Si nous avions parlé plus fort, si nous n’avions pas donné une confiance excessive à de bonnes paroles technocratiques qui nous ont été prodiguées ; si nous avions décidé plus tôt de suspendre de nos aides budgétaires, si nous avions été réellement exigeants et rigoureux dans le contrôle des fonds publics et la dénonciation des conflits d’intérêts, peut-être que ces dérives ne se seraient pas produites. Peut-être que les dirigeants d'alors nous remercieraient-ils pour notre franchise et les conseils donnés. Peut-être que Madagascar aurait-elle pu continuer son développement sur de bons rails et affronter la crise économique mondiale dans de meilleures conditions (...) ».
Pensée émue pour les victimes innocentes du 7 février 2009 et toutes les autres
« (…) J’ai, bien sûr, une pensée émue, une pensée très émue pour les dizaines de civils innocents qui ont été tués devant le Palais présidentiel, le 7 février 2009. Plus largement aussi, j’ai aussi cette pensée émue pour toutes les  victimes de cette crise politique ; toutes celles qui ont souffert ; toutes celles qui ont perdu un ou une de leurs proches ; toutes celles qui ont subi des exactions. Le pardon qui viendra le jour venu, ne devra pas exclure la justice. Si l’appui international est nécessaire pour établir la vérité, il devra être sollicité (…) ».
Pas d’ingérence dans les affaires d’un État partenaire et souverain
(…) Les accusations, que je ne balayerai pas d’un revers de main, même si elles sont souvent constituées d’insinuations sans fondements, d’interprétations malveillantes, de rumeurs… Tout ce qui est excessif est quand même insignifiant. Non ? Elles auraient été prises avec mépris si elles n’avaient pas été reprises  par des hommes politiques que, par ailleurs, nous estimons et que nous respectons. Je vous crois pour ces derniers, pour ces hommes politiques, que leurs paroles, prononcées sans doute sous le coup de l’énervement, sous le coup de la colère -toujours mauvaise conseillère-, qui ont trahi les pensées de leurs auteurs. Je remercie, d’ailleurs, les nombreux anciens ministres, les très nombreux parlementaires qui sont ici présents (Ndrl : L’Assemblée nationale et le Sénat n’ont pas été dissous mais suspendus par la HAT), pour les excuses personnelles qu’ils m’ont présenté, pour ce qu’ils estimaient, eux-mêmes, largement déplacé. Je vous rappelle avec la plus grande solennité, avec la plus grande fermeté, à vous de le répéter partout où vous pouvez : la France ne peut rester indifférente à ce qui se passe à Madagascar. Nous ne pouvons pas être indifférents. Mais nous ne pouvons pas nous ingérer dans les affaires d’un État partenaire et souverain (…) ».
Bravo Jean Marc ! C’est ce qui s’appelle être -non pas neutre comme la Suisse qui ne l’a jamais été réellement depuis la première guerre mondiale- mais être réaliste et lucide. Il faut savoir que l’ambassadeur de France est arrivé en plein « cafouillage » est qu’il n’a pu présenter ses lettres de créances à aucune entité officielle. En tout cas, dans son discours, tout le monde est concerné, sinon impliqué. Ce qui est formidable dans ce discours qui sort vraiment de l’ornière de la diplomatie-hypocrisie-politique de l’autruche, c’est que Jean Marc Châtaigner a des connaissances solides de l’Histoire récente de Madagascar. Il a su, en peu de mots, démontrer que la vraie raison de cette crise de 2009 émanait d’une très mauvaise gouvernance de la part de Marc Ravalomanana.
Jean Marc Châtaigner est actuellement Ambassadeur envoyé spécial de la France pour le Sahel depuis septembre 2017
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Niels Marquart : Nous avons constaté la démission de Marc Ravalomanana
Avant son départ définitif, l’ambassadeur américain, Niels Marquardt, eu un entretien avec un confrère de L'Express de Madagascar. Ses déclarations ont été publiées le samedi 22 mai 2010. (Re)voici des extraits pour les générations actuelles et les pro-n°25 qui basent leur campagne électorale de ce second tour de l’élection présidentielle sur le mensonge, la médisance et l’infamie qui finiront, tôt ou tard, par leur revenir comme un boomerang.
« Je m’attendais à autre chose que ce qu’il y a eu. Quand je suis arrivé (Ndlr : en 2007), je me suis dit que c’était le bon moment de venir à Madagascar. La Grande île était enfin sortie de son passé sombre. L’expérience socialiste, l’isolement, les choix politiques mal conçus, l’orientation vers la Corée du Nord, c’était fini. Mais au bout de quelques mois, j’ai commencé à me poser des questions. Il y a eu plusieurs rendez-vous manqués, que j’ai trouvés particulièrement dommage ».
Parlant donc de la période où Marc Ravalomanana était au pouvoir, l’ambassadeur Niels Marquardt a révélé :
« J’avais comme objectif de faire venir des investisseurs américains à Madagascar. En novembre 2007, s’est tenu au Cap, en Afrique du Sud, l’US-Africa Business Summit, une importante conférence qui se déroule tous les deux ans avec beaucoup d’investisseurs américains. L’ancien Président de la République (Ndlr : Marc Ravalomanana) devait personnellement participer à cette conférence, et il devait prononcer un discours à l’ouverture. Mais pour une raison que nous n’avons pas comprise, le Président a annulé sa participation au dernier moment. Il a envoyé son nouveau ministre de l’Économie. Celui-ci a fait un excellent travail, mais l’absence surprise du Président a laissé un goût amer du côté des Américains. Des hommes d’affaires américains sont certes venus ensuite, mais la plupart du temps, cela n’a abouti à rien ».
« Il y a aussi eu l’épisode Seabord, l’investisseur dans le secteur de la farine. Seabord était l’un des premiers investisseurs américains venus tester le climat des affaires à Madagascar. S’il avait réussi, il aurait entraîné beaucoup d’autres derrière lui. Mais il a constaté, et les autres aussi, que le climat des investissements à Madagascar n’était pas très fair-play. (Ndlr : Marc Ravalomanana a ruiné la société Kobama à Andranomanelatra appartenant à Edgard Razafindravahy). Ce qui a repoussé des intérêts potentiels vers des pays plus sains ».
« Vous devez également savoir que des discussions ont déjà été entamées sur la possibilité d’une deuxième phase du MCA (Ndlr : Millenium Challenge Account), et Madagascar ambitionnait d’obtenir 700 millions de dollars. Mais déjà , à l’époque, je doutais fort de la possibilité pour Madagascar d’être accepté à cette deuxième phase ».
« Je ne dis rien de neuf. Si vous regardez bien dans les archives, vous verrez que j’ai toujours eu un certain franc-parler. Le problème du conflit d’intérêt à Madagascar était un sujet qui nous préoccupait beaucoup. Mon adjoint avait même déjà proposé, à une époque, que le Président vende sa société (Ndlr : Tiko), et je partageais tout à fait son avis. Depuis 2002, tous les ambassadeurs américains ont toujours conseillé au Président de séparer ses affaires personnelles des affaires de l’État ».
« Il faut tracer une ligne bien distincte entre les deux mandats de l’ancien Président. Sous son premier mandat, on lui a accordé le bénéfice du doute. La communauté internationale a senti souffler un vent nouveau. Nous nous sommes dit que, pour le bien des Malgaches, il fallait laisser souffler ce vent libéral, pro-business et ouvert au monde extérieur. Mais après l’élection présidentielle de 2006, on a commencé à constater des problèmes. Nous n’avons pas compris la réforme constitutionnelle de mars 2007. Le courant passait aussi mal avec les sociétés américaines qui voulaient venir parce que le président voulait imposer ses critères. Il y a aussi eu ces tensions inutiles créées avec le maire d’Antananarivo (Ndlr : Andry Rajoelina) qui a pourtant été démocratiquement élu, ainsi que les promesses non tenues de la réforme électorale. Tout cela a choqué la communauté internationale ».
« Nous nous attendions à ce que la crise éclate. Nous voyions qu’en se créant ainsi des ennemis, Marc Ravalomanana allait dans le mauvais sens ».
« Je l’ai dit plusieurs fois, nous ne soutenons personne. Nous n’avons jamais réclamé le retour au pouvoir de Marc Ravalomanana, nous avons même constaté sa démission. Cette étiquette pro-Ravalomanana et anti-HAT est entièrement fausse. Nous soutenons la démocratie et le retour à l’ordre constitutionnel ».
Niels Marquardt est actuellement Consul général des États-Unis à Sydney depuis juin 2010.
Dossier de Jeannot Ramambazafy également publié à la « Une » du quotidien « La Gazette de la Grande île » du samedi 15 décembre 2018