Les présidents Andry Rajoelina et Emmanuel Macron, sur le perron de l’Élysée, le 29 mai 2019
Ainsi donc, contrairement à tous ses prédécesseurs qui, pour une raison ou une autre, ont laissé passer toutes les occasions -et elles n’ont pas manqué- pour mettre en pratique la déclaration des Nations-Unies du 12 décembre 1979 à propos des îles éparses malagasy, la volonté ferme et déterminée du Président Andry Rajoelina n’est pas un coup de tête, pas plus qu’une démarche sans queue ni tête uniquement pour faire le « m’as-tu » vis-à -vis du reste du monde. Non. La déclaration historique du Président Rajoelina repose sur des bases historiques très solides qui méritent d’être révélées pour la nouvelle race de politiciens au niveau mondial, à l’instar des quadragénaires montant que sont les chefs d’Etat malagasy et français plus bâtisseurs d’un avenir sur le même pied d’égalité, que conquistadors sur des terres déjà répertoriées. Emmanuel Macron n’est ni Ramadier ni de Gaulle. Comme son homologue de Madagascar, actuellement, il est quasi assuré qu’il entend aussi marquer son passage -non pas à l’Olympia- mais à l’Elysée, par une action percutante qui restera inscrite en permanence dans les annales des relations franco-malagasy, volet positif. Place à l’histoire des îles éparses malagasy étroitement liée au retour de l’Indépendance d’une nation toujours en devenir….
La décision du gouvernement de Paul Ramadier (du 22 janvier au 21 octobre 1947) de refuser à Madagascar son indépendance dès 1947 prouve son obstination à ne pas respecter l’engagement solennel pris par la France — le 26 juin 1945 à San-Francisco — « de renoncer à sa politique coloniale et de tenir compte des aspirations politiques des populations ». Une telle décision a constitué une violation de la Constitution du 27 octobre 1946, qui stipule que « la France entend conduire les peuples dont elle a la charge à la liberté de s’administrer eux-mêmes ».
A l’époque, Le refus du gouvernement français de rendre à Madagascar sa souveraineté est d’autant plus condamnable que son représentant à Tananarive, le conseiller d’État de Coppet, exerçant la fonction de Haut-commissaire, avait écrit, en juillet 1947 : « On peut affirmer sans risque d’erreur que toute la population autochtone de Madagascar aspire à l’indépendance totale de la patrie malgache. (…) On ne vient pas à bout d’un sentiment national populaire par la violence (…) ». Il a fallu attendre 1956 pour qu’une avancée soit effectuée dans la voie de la décolonisation. Gaston Defferre, alors ministre de la France d’Outre-Mer dans le gouvernement Guy Mollet, a fait adopter par l’Assemblée nationale, le 23 juin 1956, son projet de loi-cadre accordant l’autonomie interne à la Grande Île.
En application de cette loi, chacune des 6 provinces de Madagascar se sont doté d’un Conseil provincial élu au suffrage universel. Les conseillers provinciaux ont désigné des délégués à l’Assemblée représentative siégeant à Tananarive. Le rôle principal de cette assemblée était de désigner le Conseil de gouvernement.
L’importance de ces nouvelles institutions est à relativiser car la présidence tant des Conseils provinciaux que du Conseil de gouvernement est assurée par les fonctionnaires de l’administration coloniale, désignés par le gouvernement français. De plus, ces Conseils n’ont pas le pouvoir de légiférer et doivent se contenter de formuler des vœux. Des vœux qui sont loin d’être exaucés lorsque le Général de Gaulle prend le pouvoir après la chute de la 4ème République en 1958.
L’ancien chef de la France libre laisse alors aux colonies d’Afrique le choix entre l’appartenance à la «Communauté française » et la sécession. Les Malgaches s’étant prononcés pour la première option au référendum du 28 septembre 1958, le Congrès des assemblées provinciales, réuni à Tananarive le 14 octobre 1958, proclama la République. Une République ayant le statut d’État-membre de la Communauté et qui se donnait une Constitution le 29 avril 1959. Deux jours plus tard, Philibert Tsiranana est élu président de la République de Madagascar pour 7 ans.
Mais sous la pression des partis d’opposition, des populations des grandes villes comme Tananarive, Diego-Suarez, Tamatave et d’une large fraction de la presse, Philibert Tsiranana fut conduit à demander à Paris l’indépendance pure et simple de Madagascar. Le Général de Gaulle y répondit favorablement.
Les négociations, auxquelles participèrent dans la capitale française des délégations françaises et malgaches, furent brèves : à peine 7 semaines. Elles débouchèrent le 2 avril 1960 sur les accords dits de Matignon. Selon les termes de ces accords, la Grande Île allait accéder à l’indépendance totale le 26 juin 1960, tout en acceptant de coopérer librement avec une « Communauté rénovée ». Et, au terme de ces mêmes accords, Madagascar allait devenir une république indépendante. Mais l’opinion ne tarda pas à se rendre compte que les engagements visant au développement de la Grande Île n’étaient pas tenus.
Ces accords du 2 avril 1960 ont été paraphés dans les salons de l’Hôtel Matignon, à Paris, par le président Philibert Tsiranana et le Premier ministre français, Michel Debré. Ainsi, « la République malgache est un État indépendant et souverain. Elle n’est plus liée à la Communauté par la Constitution de 1958. Son adhésion volontaire, résulte des présents accords. La régularisation de cette nouvelle situation interviendra au cours de la prochaine session parlementaire, au mois de mai ». Puis le 26 juin 1960, au Palais d’Andafiavaratra, avant la proclamation de l’Indépendance par Philibert Tsiranana sur la pierre sacrée (« vato masina ») de Mahamasina, des accords de coopération entre Madagascar et la France ont été paraphés par le président Tsiranana et Jean Foyer, secrétaire d’État chargé des relations avec les États membres de la Communauté. Ainsi, les deux États se sont accordés pour définir « les domaines d’une coopération volontaire » : la politique étrangère, la défense, les questions monétaires, économiques et financières, et judiciaires, l’enseignement, les transports, les télécommunications. « Malgaches, vous êtes et resterez nos frères », avait alors déclaré Jean Foyer. Et les îles éparses dans toutes ces perspectives de lendemains qui chantent ? Il faut alors savoir ce qui suit :
Décret français n° 60-555 du 1er avril 1960, relatif à la situation administrative de certaines îles relevant de la souveraineté de la France.
Le président de la République,
Sur le rapport du Premier ministre et du ministre d'Etat,
Vu la Constitution ;
Vu l'acte du 23 août 1892 portant prise de possession, au nom de la France, des îles Glorieuses;
Vu la prise de possession, au nom de la France, des îles Juan de Nova, Europa et Bassas da India en octobre 1897,
Article 1. Les îles Tromelin, Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India sont placées sous l'autorité du ministre chargé des départements d'outre-mer et des territoires d'outre-mer.
Article 2. Ce ministre peut confier leur administration à l'un des fonctionnaires relevant de son département.
Article 3. Sont abrogées toutes dispositions antérieures contraires à celles du présent décret.
Article 4. Le premier ministre et le ministre d'Etat chargé du Sahara, des départements d'outre-mer et des territoires d'outre-mer sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.
Par le président de la République : Charles de Gaulle ; le Premier ministre, Michel Debré et le ministre d'Etat, Robert Lecourt
Les articles 1, 2 et 3 de ce décret ont été abrogés par la loi française du 21 février 2007 qui a fait de ces îles éparses le 5ème district des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) au côté des îles Crozet, Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam, ainsi que de la Terre Adélie. Un préfet en assure, depuis, la gestion. Le territoire des TAAF est associé à l'Union européenne comme Pays et territoires d'outre-mer (PTOM).
Déclarations de De Gaulle au gouvernement français, le 26 juin 1960 même, entre Français : « Je mets en garde le Quai d’Orsay pour n’importe quelle emprise de Madagascar sur les îles et îlots français avoisinants. Cela ne se justifie d’aucune manière et risque d’entraîner des inconvénients. Les îles et îlots peuvent revêtir pour nous une importance réelle, notamment en ce qui concerne nos expériences atomiques. Je n’approuve donc pas qu’on introduise Madagascar en quoi que ce soit qui se passe dans ces îles, notamment en ce qui concerne la météo ». Ainsi, malgré la déclaration de l’Indépendance de Madagascar, le général de Gaulle avait signa ce décret confiant clairement la gestion des Éparses au préfet du département de la Réunion. Et force était dont de conclure que les fameux accords de Matignon du 2 avril 1960 ne profitaient pour l’essentiel qu’à l’ancienne puissance colonisatrice.
Après 19 ans de léthargie totale voilà que l’Assemblée générale de l’ONU, lors de sa 34à session, adopte la résolution 34/91 du 12 décembre 1979. Cela, à propos des questions des îles Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India.
L’Assemblée Générale,
Ayant examiné la question des îles Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India.
Rappelant sa résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, contenant la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.
Rappelant en outre la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, contenue dans sa résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970. Considérant sa résolution 34/21 du 9 novembre 1979, ainsi que ses résolutions antérieures sur la coopération entre l’Organisation des Nations Unies et l’Organisation de l’Unité Africaine. Ayant à l’esprit les décisions sur les îles Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India, adoptées par la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Organisation de l’Unité Africaine à son quinzième et son, seizième sessions ordinaires (Voir A/33/235 et A/34/552), qui se sont tenues à Khartoum du 18 au 22 juillet 1978 et à Monrovia du 17 au 20 juillet 1979.
Prenant note de la partie de la Déclaration politique adoptée par la sixième Conférence des chefs d’Etat ou de gouvernement des pays non alignés, tenue à la Havane du 3 au 9 septembre 1979 (Voir A/34/542, annexe-sect. 1 par 100), concernant les îles malgaches de l’océan Indien.
Rappelant les dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies relatives au règlement pacifique des différends.
Prenant note de la demande de réintégration formulée par Madagascar, à propos des îles Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India (Voir A/34/245, annexe).
Considérant la disposition maintes fois réitérée du Gouvernement malgache à entrer en négociation avec le Gouvernement français en vue de trouver à la question une solution en vue de trouver à la question une solution conforme aux buts et principes de la Charte des Nations Unies.
1. Réaffirme la nécessité de respect scrupuleusement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un territoire colonial au moment de son accession à l’indépendance ;
2. Prend note de sa résolution sur les îles Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India, adoptée par le Conseil des ministres de l’Organisation de l’Unité Africaine à sa trente-troisième session ordinaire, qui s’est tenue à Monrovia du 6 au 20 juillet 1979 (Voir A/34/552, annexe 1. Résolution CM/Res. 732 (XXXIII) ;
3. Invite le Gouvernement français à entamer sans plus tarder des négociations avec le Gouvernement malgache en vue de la réintégration des îles précitées, qui ont été séparées arbitrairement de Madagascar;
4. Demande au Gouvernement français de rapporter les mesures portant atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de Madagascar et de s’abstenir d’en prendre d’autres qui auraient le même effet et pourraient affecter la recherche d’une solution juste au présent différend;
5. Prie le Secrétaire général de suivre l’application de la présente résolution et de faire rapport à ce sujet à l’Assemblée générale lors de sa trente-cinquième session;
6. Décide d’inscrire à l’ordre du jour provisoire de sa trente-cinquième session une question intitulée «Question des îles Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India». Hélas, aucun effort en ce sens n’a été fait de part et d’autre si bien que, dans la résolution 35/123 du 11 décembre 1980, l'Assemblée générale des Nations-Unies a, une nouvelle fois, engagé le gouvernement français à entamer d'urgence avec le gouvernement malgache les négociations prévues dans la résolution 34/91, en vue de trouver à la question une solution conforme aux buts et principes de la charte des Nations Unies. Mais rien n’a été fait de bien concret depuis tout ce temps…
Mais, au fait, qu’est-ce qu’une Zone économique exclusive ? D'après la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU le 16 novembre 1973, "une zone économique exclusive (ZEE) est constituée de l'espace maritime sur lequel un État côtier exerce ses droits souverains en matière d'exploration et d'usage des ressources. Conçue pour que les pays en voie de développement puissent rattraper leur retard économique, elle s'étend à partir de la ligne de base de l'État jusqu'à 200 milles marins -soit environ 370km- de ses côtes au maximum. Cela lu et su, sachez alors ceci : Juan de Nova est à 150km des côtes malgaches ; Les Îles Glorieuses à 220 km ; Europa à 300km ; Bassas da India à 380km; Tromelin, revendiqués par la république de l’île Maurice, à 600 km de Madagascar. Connaissez plus encore ces îles éparses malagasy
TROMELIN : cet îlot de 1 km2 accueille une station météo depuis 1954, et trois personnels des TAAF relevés tous les 80 jours. Ce territoire a été revendiqué depuis 1976 par la république de Maurice et un accord de cogestion économique (thon et espèces protégées) a été signé en 2010. L'îlot porte le nom d'un Français, le chevalier de Tromelin, venu secourir des esclaves malgaches abandonnés là par des négriers de la Compagnie des Indes après un naufrage, à la fin du XVIIIe siècle.
Toutes les autres îles, qui sont bel et bien malagasy, se trouvent dans le canal du Mozambique.
LES GLORIEUSES : L'île du lys, l'île aux crabes et Grande Glorieuse forment ce mini-archipel de 7 km2, à environ 220 km à l'ouest de Madagascar et à peu près autant à l'est de Mayotte. Quatorze militaires de détachement de la Légion étrangère de Mayotte (DLEM) et un gendarme y sont relevés tous les 45 jours. La station météo, installée en 1955, y est automatisée. L'archipel a probablement été découvert dès le XVIe siècle par les navigateurs sur la route des Indes mais ce n'est qu'en 1879 que le Réunionnais Hippolyte Caltaux y accoste et y développe une cocoteraie et l'exploitation du guano. Menacée par les Anglais, présents dans les îles voisines, la France en prend officiellement possession le 23 août 1892.
JUAN DE NOVA : Petite île en forme d'enclume de 7km2, c'est l'île des Eparses la plus proche de Madagascar, à 150 km à peine. Quatorze militaires de 2e RPIMA (régiment de parachutistes d'infanterie de marine, basé à La Réunion) et un gendarme sont relevés depuis la Réunion tous les 45 jours environ. La station météo, devenue permanente en 1973, y est automatisée. Juan de Nova doit son nom au noble galicien qui aurait découvert l'île en 1501 pour le compte du roi Manuel Ier du Portugal. Si l'île a servi de campement pour des pêcheurs malgaches, l'acte du 31 octobre 1897 la déclare dépendance française. Une concession est octroyée pour 20 ans au début du XXe siècle à un Français, puis une exploitation du guano par un franco-mauricien y amènera une présence ouvrière pendant 15 ans jusqu'en 1968.
BASSAS DA INDIA : Cet atoll corallien, formant un cercle presque parfait, présente une superficie de récifs de 86 km2 mais seulement 200 m2 de corail émergés à marée haute. A ce titre, c'est une "île" qui permet d'avoir une Zone économique exclusive ou ZEE mais aucune présence humaine n'y est possible. Son nom voudrait dire "le ban de la juive", "juvia" ayant eu son orthographe modifiée durant les siècles. Quasiment invisible à marée haute, Bassas da India a provoqué de nombreux naufrages. Le premier documenté eut lieu en 1585.
EUROPA : Avec ses 30 km2, c'est la plus grande des îles avec comme particularité une mangrove couvrant un cinquième de ce pentagone. En 1860, un couple de colons français venant de Tuléar (Madagascar) s'y installa avant d'en repartir. Après diverses occupations courtes, il a fallu attendre 1949 et une station météo pour avoir une occupation permanente. Un détachement militaire du RPIMA et un gendarme, relevés tous les 45 jours, assurent la souveraineté. L'île porte le nom du navire anglais qui l'a reconnue en 1774.
Alea jacta est ! Les déclarations du Président Andry Rajoelina, le 29 mai 2019, resteront historiques et dans les annales de l’Histoire politique de Madagascar. Extraits : « Les  relations bilatérales entre la France et Madagascar seront transformées en un réel partenariat». « Les îles éparses sont une question d’identité nationale ». « Je demande en mon nom personnel, et au nom des 25 millions de Malgaches, la gestion ou la restitution des îles éparses. Et, dans cette optique, une commission mixte sera mise sur pied afin de trouver cette solution commune ». Réponse du Président Emmanuel Macron, à propos de cette commission mixte ? Elle sera mise sur pieds « le plus tôt possible. Ce sera un travail conjoint, totalement partenarial et ce sera un bel aboutissement ». Lequel ? En tout cas, il est clair que le président Andry Rajoelina veut faire l’Histoire de Madagascar afin de ne plus la subir. On attend les réactions de ceux qui passent leur vie à faire des histoires… à dormir debout n’aboutissant à rien du tout.
Jeannot Ramambazafy, envoyé spécial à Paris- dossier également publié dans "La Gazette de la Grande île" du samedi 1er Juin 2019
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