Le 12 mai 2020, à l’IEP (Institut d’Etudes Politiques) à Ampandrana, Romy Andrianarisoa, Experte en développement durable et Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) présentait son point de vue et ses réflexions, ainsi que des perspectives pertinentes, à propos de la post-crise sanitaire covid-19. Son style clair sans être pédant ni trop technique, a attiré mon attention.
En effet, il est rare de nos jours que des Malagasy bardés de diplômes n’affichent pas une tendance à vouloir être « je-sais-tout » en étalant un savoir souvent livresque. Mais les palabres terminées, c’est le vide et le bide quant aux actions concrètes.
Et c’est pour cela que j’ai décidé de transcrire, noir sur blanc, les réflexions et les perspectives sur la post-crise de Romy Andrianarisoa Voos. Elle le mérite et l’on entendra sûrement encore parler d’elle. Si ce n’est déjà fait…
« Je voudrais d’abord rappeler quelques éléments, par rapport à cette analyse de crise. Je crois qu’au-delà d’être une simple crise sanitaire, c’est véritablement une crise bien plus profonde qui met en exergue à la fois les failles et les vulnérabilités de la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui et, au-delà d’être juste une crise sanitaire, comme je le disais, c’est à la fois une crise sociale, c’est aussi une crise économique et politique et ce que je vais souligner, ici, particulièrement, c’est l’aspect environnemental de cette crise, parce que c’est probablement l’aspect que l’on regarde le moins, parce que ce qui compte, aujourd’hui, ce sont les mesures immédiates et sanitaires, et c’est normal, mais les conséquences qui vous nous faire le plus mal, sur le moyen et le long terme, ce sont les conséquences sur notre environnement.
Comment rebondir à partir de cette crise, pour faire en sorte que ce soit une vraie opportunité et une porte ouverte vers un meilleur monde demain, vers un meilleur Madagascar demain ? La raison pour laquelle cette crise n’est pas simplement une crise sanitaire, c’est parce qu’elle attaque tous les moteurs de la vie aujourd’hui ; ce n’est pas simplement une crise économique, bien que, encore une fois, les effets néfastes économiques sont les plus lourds et sont les plus immédiats : elle (Note du transcripteur : la crise) touche la survie humaine. Mais c’est aussi l’ensemble des vivants, en fait, qui est touché, et tous les clignotants étaient au rouge jusque-là mais nous avons préféré les ignorer, à la fois les humains, à la fois la biosphère, les êtres vivants, toutes les espèces vivantes, les forêts les océans, tous affichaient un clignotant au rouge mais nous avons délibérément choisi de ne pas les écouter ou nous avons délibérément choisi de ne pas mettre en place les plans d’action nécessaires.
Toutes les institutions internationales qui œuvrent dans la préservation et dans la protection de l’environnement ont, à maintes reprises, tiré la sonnette d’alarme en disant : nous allons beaucoup plus vite que les capacités de notre planète aujourd’hui ; nous devons décélérer ; nous devons mettre en place des solutions mais, malheureusement, face au rouleau compresseur économique, face au diktat des sociétés occidentales, particulièrement sur la nécessité de toujours courir après la rentabilité, ces signaux d’alarme n’ont pas été vus, et il se trouve qu’à Madagascar, par exemple, en Afrique, mais surtout à Madagascar où nous pesons et où nous comptons beaucoup sur nos ressources naturelles, il y a eu une vraie dépression des ressources de pêche, par exemple, des stocks de pêche ; les mangroves ont directement été attaquées par ces impacts environnementaux et puis ce réchauffement climatique ; l’altération des zones côtières aussi. Souvenez-vous, nous sommes avant tout une île et nous vivons des 11.000 kilomètres qui bordent Madagascar, et puis la hausse des flux de nitrate dans l’océan. Mais, encore une fois, on a choisi de ne pas regarder tout çà et, systématiquement, quand des politiques ont voulu émerger, elles ont été jugées liberticides ; elles ont été jugées non appropriées et, du coup, elles ont été mises au placard.
Mais aujourd’hui, aujourd’hui, cette pause qui nous est forcée par la crise du coronavirus doit nous inviter à réfléchir et à avoir une vraie transition, je parle d’une grande transition écologique et environnementale pour Madagascar, pour l’Afrique et pour la planète. Donc, une pause pour pouvoir réattaquer une logique sociale différente ; une logique qui doit resserrer les liens entre les vivants ; une logique qui doit remettre au cœur -quand je dis vivants, ce ne sont pas uniquement les êtres humains vivants mais l’ensemble de toutes les richesses naturelles, l’ensemble de toute la biosphère- l’ensemble de tout le biotope qui fait l’exclusivité et la richesse de Madagascar aujourd’hui. Donc, il est temps de se poser et de remettre en question un schéma beaucoup plus durable et qui s’inscrit dans le respect de toutes ces espèces qui, au final, vivent avec nous, au quotidien.
Il est nécessaire, donc, de mettre en place une politique, à Madagascar, qui considère ces impératifs de décélération de la croissance, et d’une croissance qui n’est pas équilibrée et qui n’est pas durable, dans le sens à la fois économique et théorique de la durabilité. Je vous rappelle, au passage, que la durabilité doit inclure le développement économique, bien entendu, mais également la préservation et la protection de l’environnement et puis, aussi, un équilibre social est inclusif. Cela signifie dans le caractère d’inclusivité que toutes les populations doivent être incluses et vous savez, comme moi, qu’à Madagascar 90% de la population vivent en-dessous du seuil de la pauvreté. Donc, cette croissance que l’on recherche, doit passer par une décélération et par une solidarité accrue, en termes de gestion à la fois politique de gestion sociale et, surtout, de politique économique.
Cela signifie, donc, très concrètement, comment revoir la politique économique, environnementale et sociale à Madagascar demain. Il faut véritablement réhabiliter le local ; il faut rendre la souveraineté aux territorialités ; il faut donner la parole à toutes les communautés jusqu’à une descente auprès des fokontany. Il est nécessaire, réellement, d’écouter et de donner la parole à cette politique locale, à ce développement des politiques de contenu local, et de permettre, justement, à Madagascar de demain, de considérer ces différentes strates à la fois humaines, d’êtres vivants aussi, et de strates économiques.
Vous l’avez entendue, très récemment, Madame le Ministre de l’Environnement, Madame Vahinala, a souligné ces impacts du coronavirus sur l’environnement malgache. Et il est tout à fait logique, en fait, que çà percute parce que, aujourd’hui, une grosse partie de ces revenus -qui sont utilisés pour ces politiques de déploiement et de préservation de l’environnement- viennent de l’industrie du tourisme. Et le tourisme étant la première industrie bafouée par le coronavirus à Madagascar aujourd’hui, a fortiori les politiques environnementales sont également en difficulté et, par conséquent, la préservation des biotopes et des biosphères paie un prix très très lourd. Et un prix qui va se prolonger dans le temps, dans le moyen terme et dans le long terme. C’est pour çà qu’il est indispensable aujourd’hui, dans cette grande transition que j’évoque, que les politiques de reconstruction post-crise soient à la fois plus équilibrées, plus justes, sociales et permettent l’intégration de toutes les populations et de toutes les strates à Madagascar.
La prospérité, aujourd’hui, et à partir de cette crise, n’est plus une question économique. La prospérité, ce n’est plus une question de ponction des êtres humains, de ponction des ressources naturelles ; çà doit être une question d’équilibre ; çà doit être une question de redistribution des richesses ; çà doit être une question, également, d’un nouvel équilibre. C’est pour çà que je parle véritablement d’une grande transition à enclencher à Madagascar et cette grande transition doit s’appuyer sur ces trois piliers de la durabilité : la préservation de l’environnement et la protection de l’environnement avant tout ; le développement inclusif, donc d’un point de vue population, d’un point de vue territorialité, d’un point de vue développement locale ; et bien entendu, également le développement économique mais plus du tout sous un angle de ponction des ressources naturelles mais véritablement sous un angle de bienveillance et de développement réfléchi.
Le célèbre environnementaliste, Nicolas Hulot, a évoqué, comme vous le savez, très récemment, la mise en place d’une Conférence écologique et sociale. C’est une idée intéressante parce qu’elle place véritablement les besoins écologiques et la préservation de l’environnement au cœur, à la fois des objectifs économiques et des politiques de développement de chacun des pays. Ce sont, évidemment, des mesures appliquées à la France mais elles nous amènent à réfléchir sur la pertinence de ce type de mesures à mettre en place à Madagascar. A mettre en place à un niveau mondial d’abord. Pourquoi ne pas réfléchir, par exemple, à un Grenelle (Note du transcripteur : Le Grenelle Environnement, souvent appelé Grenelle de l'environnement, initiative du Président Nicolas Sarkozy, est un ensemble de rencontres politiques organisées en France en septembre et décembre 2007, visant à prendre des décisions à long terme en matière d'environnement et de développement durable, en particulier pour restaurer la biodiversité… in Wikipédia), mais à une échelle internationale, et qui implique tous les pays dans une démarche de solidarité et dans une démarche de co-réflexion environnementale pour des mesures qui traitent à la fois de solutions immédiates mais, également, de solutions à la fois socio-économiques équilibrées et bien plus justes.
Quand on ramène ce débat au niveau de Madagascar, cette idée de Conférence sociale écologique, elle est intéressante parce que, vous le savez comme moi, les différentes instances du gouvernement, la Commune urbaine d’Antananarivo ont mis en place des actions d’aide aux plus démunis, aux plus vulnérables, pendant cette crise du coronavirus. Mais demain, ces plus vulnérables mettront encore plus de temps que vous et moi à se redresser. Ce qui signifie que cette Conférence écologique et sociale doit regarder les mesures qui permettent aux populations extrêmement vulnérables de se relever un petit peu plus vite que les populations, on va dire modestes.
Donc, çà signifie que, peut-être on sera amenés à réfléchir, indépendamment de tout le débat qui tourne autour du Covid-Organics. En tout cas, il y a une vraie opportunité pour la pharmacopée malagasy, l’aspect phytosanitaire et le savoir-faire du monde scientifique malgache, ainsi que des ressources naturelles malgaches à , peut-être, se tourner vers un développement plus industriel, plus structuré et à devenir un vrai pilier économique de développement pour Madagascar. Donc, plus voir cette histoire de Covid-Organics sous un angle pilier de développement pour le pays avec la possibilité, derrière, de constituer toute une industrie sur les plantations des ressources naturelles de l’Artemisia mais également d’autres espèces qui sont exploitables pour constituer une vraie industrie phytosanitaire et une vraie pharmacopée avec un vrai savoir-faire Vita Malagasy.
Donc, c’est plus là , je pense, qu’il faut orienter ce débat et ressaisir, justement, l’économie malagasy en créant un vrai trait d’union de durabilité, entre le développement économique, la gestion des ressources naturelles malagasy sous un angle durable et puis, bien entendu, le retour à la croissance économique après une crise qui a fait, somme toute, beaucoup de mal à Madagascar.
Je vais finir sur une conclusion qui est celle qui a été dite par le Professeur Achille Mbembe de l’université d’Afrique du Sud (Note du transcripteur : . Je vais la lire puisque ce sont des mots que je lui emprunte. Le Professeur Mbembe dit : « Gouverner à partir de cette crise, c’est désormais veiller dans nos environnements écologiques à l’interaction la plus harmonieuse possible entre tous les vivants. Telle doit être la base de la refondation, d’un nouveau contrat qui ne sera plus seulement social ou économique mais qui impliquerait d’autres habitants non humains de la planète, les individus autant que les espèces ».
Merci ».
Transcription : Jeannot Ramambazafy - Egalement publié dans "La Gazette de la Grande île" du samedi 30 mai 2020