Janvier 2005. Face aux séries de délestages qui minaient l’économie même du pays, le groupe allemand Lahmeyer International, en négociation directe avec le Président Marc Ravalomanana depuis novembre 2004, a finalisé son contrat de gestion de la Jirama (Société nationale d’électricité et d’eau).
Et c'est vers la fin de ce mois de janvier 2005 que la Jirama a pris un « nouveau départ ». L'entreprise allemande Lahmeyer International a été choisie pour assurer sa gestion intérimaire. Le dossier de la mise en contrat de gestion de la Jirama avait été soumis à la Banque Mondiale qui l’a avalisé.
Ainsi, un Allemand est devenu Directeur général de la Jirama: Bernhard Romahn (ci-dessus). Avec des salaires extra…ordinaires. Mais au fil du temps, c’est un effet contraire qui se produisit. Au lieu de se redresser, la situation financière et technique de la Jirama s’est plus aggravée encore : les délestages sont devenus infernaux dans toutes les régions de la Grande île. Par ailleurs, malgré ces trous noirs dans la vie au quotidien des gens (comme actuellement en ce mois d’août 2015), les factures des usagers ont augmenté on-ne-sait pourquoi. En fait, cette surfacturation avait servi à combler le déficit de recettes et de manque à gagner de la Jirama. En clair: les dépenses dépassaient largement les recettes, aussi bien dans la rémunération des employés que dans le fonctionnement de la société. Il faut se rappeler que le Président Ravalomanana avait acquis, au prix fort, des groupes fonctionnant au fuel lourd pour faire tourner les centrales thermiques dans tout Madagascar.
Deux ans plus tard, à l’expiration du contrat en 2007, la situation a empiré. Ajouté à cela, la découverte que cette société Lahmeyer était sur la liste noire (« black-list ») de la Berd (Banque européenne de reconstruction et de développement) et de la Banque mondiale ! En fait, c’était en 2003 que Lahmeyer avait déjà des problèmes avec d'autres contrats de gestion en Afrique, avec des accusations de corruption. Et c’est à partir de cette concession à Lahmeyer qu’ont commencé les vrais problèmes de gestion et fonctionnels de la Jirama. Et c'est aussi dans ce contexte de faillite qui ne dit pas son nom que -persistant à croire que le salut vient de l’extérieur-, Marc Ravalomanana avait songé à un renouvellement du contrat de gestion de la Jirama. Il avait en tête, encore une entreprise allemande ou nord-américaine, et même des poids-lourds du marché, tels que Ondeo/Suez ou Veolia/Vivendi. Mais la révolution orange, ayant débuté en 2008, stoppa net cette velléité de mépriser le savoir-faire même des techniciens malgaches.
Décembre 2013. Bien avant d’avoir été élu président de la république, Hery Rajaonarimampianina avait promis que cette question de délestage serait résolus en seulement 3 à 6 mois dans tout Madagascar. Tu parles !
Paul Hinks et Hery Rajaonarimampianina au Palais d’Etat d’Iavoloha (ICI)
Presque deux ans après, les délestages ont repris de plus bel et les factures des usagers ont doublé voire triplé. Et c’est encore en catimini que le Président Rajaonarimampianina a signé un protocole d’accord avec la société américaine Symbion Power. Que dit le Journal de l’économie du 11 mai 2015, à ce sujet ?
« (…) Les Américains qui semblaient frileux ces dernières années reviennent en force. Ils s'affichent plus aux cotés des pays de marché de niche comme Madagascar où 18 investisseurs ont fait une prospection sur l'île tout récemment. Il s'agit entre autres de Symbion Power LLC, actif dans la production et de la distribution d'énergie électrique, comme son compatriote Skypower qui est spécialiste mondial de l'énergie solaire (…). Cette délégation américaine a été précédée il y a quelques semaines d'une autre délégation, canadienne pour celle-ci, du groupe Eco8. C'est un spécialiste des énergies nouvelles et désirant investir sur la Grande Île (…) ».
Il faut savoir que l’expression « marché de niche » est utilisée dans le monde du marketing dont la base repose sur les bénéfices et rien d’autres. Par ailleurs, dans le marché de niche, il est spécifié que « les sociétés ont une position de quasi-monopole, donc disposant d'un avantage compétitif ».
Mais voulant faire plus fort que Marc Ravalomanana, Hery Rajaonarimampianina, lui, a littéralement vendu la Jirama pour 20 ans ! Comme s’il allait être encore au pouvoir pour la vie ! Certes, Symbion Power n’a pas (encore) mauvaise presse comme Lahmeyer mais l’objectif reste le même. Minimum dépenses pour un maximum de bénéfices et pour près d’un quart de siècle ! Et comme à l'accoutumée dans nos contrées, personne ne dit rien : ni la société civile, ni l'intelligentsia. Mais nous sommes tous concernés, bordel !
Voici l’analyse de notre consoeur Fanjanarivo, journaliste économique au quotidien "La Gazette de la Grande île".
Contrat de Symbion: de l’électricité 3 fois plus chère !
Publié le mercredi 12 août 2015
Le début de la fin de la Jirama.
C’est ce qu’on peut dire du contrat signé récemment entre les autorités malagasy et la société américaine Symbion power concernant l’opérationnalisation et la maintenance de la centrale thermique au fuel de 40 MW de Mandroseza. Il s’agit, en effet, non pas d’un contrat d’achat d’énergie mais d’un contrat d’opérationnalisation et de maintenance de cette installation. Et comme bon nombre des contrats passés entre la Jirama et des entreprises privées, celui-ci spolie la Jirama et donc les contribuables étant donné que l’Etat est l’unique actionnaire de cette société nationale. Des sources concordantes avancent que l’électricité qui sera produite par Mandroseza coûtera 3 fois plus chère que le prix proposé par Wartsila, le constructeur de cette centrale. Et pour corser le tout, il appartiendra à la Jirama d’acheter le carburant devant la faire tourner. Dans ce cas, l’Etat devra encore augmenter les subventions pour la Jirama dédiées exclusivement à l’achat de carburant. Par ailleurs, le contrat comprend un prix fixe et un prix par MW produit. En tout, il donne 7 millions de dollars par an, carburant non inclus.
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Où la Jirama va-t-elle trouver ce montant ? Nulle part. Déjà , elle n’arrive pas à trouver 4,5 millions de dollars… tous les 7 ans pour la révision de Mandroseza ! Le contrat de Symbion s’étale pourtant sur 20 ans. Ce sera d’importantes pertes pour l’Etat à travers les méga-subventions que ce dernier devra continuer à allouer à la Jirama. Nos sources se demandent pourquoi les autorités pensent que l’électricité coûtera moins chère quand elle sera produite par un opérateur privé. Le contrat de Symbion prouve le contraire. Si l’Etat répare Mandroseza et en confie la gestion à la Jirama, la centrale produira avec un prix nettement moins cher que celui de Symbion. Le contrat avec cette société américaine va d’ailleurs déboucher sur de nombreux problèmes. Etant donné les risques élevés dont les risques d’arriérés de paiement chez la Jirama, Symbion qui n’est pas une société philanthropique, pourrait réclamer une marge bénéficiaire plus confortable. D’ores et déjà , elle envisagerait de demander à la Jirama un acompte d’au moins 3 millions de dollars afin de se parer d’un risque d’arriéré de paiement.
Comme cette société nationale vit sous perfusion permanente de l’Etat, elle n’a pas ce montant. L’Etat devrait donc débourser à sa place. Mais s’il dispose d’une telle somme, pourquoi ne pas faire réviser la centrale par la Jirama ? Le personnel technique de cette société a une longue expérience de cette centrale que Symbion qui n’en a aucune. Nos interlocuteurs estiment que si l’Etat devait signer un contrat avec cette entreprise américaine, il aurait dû porter sur l’adaptation des centrales au gasoil pour qu’elles supportent du fuel. Ils s’interrogent ainsi sur le bien fondé du contrat actuel : pourquoi céder à un opérateur privé l’unique grosse centrale au fuel de la Jirama ? A titre de rappel, le fuel coûte moins cher que le gasoil. Une autre question se pose également : le contrat avec Symbion dure 20 ans, alors que la transition énergétique est en marche. Celle-ci consiste à développer les énergies renouvelables. Même l’éolienne pourrait alimenter le réseau interconnecté d’Antananarivo d’ici fin 2015. Elle pourrait afficher un prix de 0,12 dollar ou environ 345 Ar/kWh. C’est un prix voisin du prix de vente moyen de la Jirama, alors que celle-ci produit à plus de 600 Ar. L’Etat veut-il couler la Jirama pour la privatiser en douce ?
Fanjanarivo
Un dossier de Jeannot Ramambazafy – 12 août 2015