Le Professeur Raymond Ranjeva
« C’est moi, Rajaonarimampianina, le seul [dirigeant] à avoir discuté, l’année dernière, avec le président François Hollande, de cette question des îles éparses ». Voilà l’assertion du président de la république face aux journalistes, à Iavoloha, le 6 novembre 2015, jour de ses 57 ans.
On ne sait s’il y a eu une relation directe mais la réaction du Professeur Raymond Ranjeva, une semaine plus tard, a été une réaction logique face à ce genre de déclaration qui n’engage que son auteur. Notre confrère, L’Express de Madagascar, est un média qui sait utiliser les NTIC. Il possède sa propre chaîne youtube: ICI
Et c’est à la veille où Paris allait vivre une série d’attentats meurtriers que M. Ranjeva a été l’invité de l’émission « Salangalanga ». En attendant qu’elle soit mise en ligne, voici un condensé, paru dans le journal papier, le 13 novembre 2014. Traduit en français, éclatant de luminosité sur ce qui a eu lieu et sur ce qui devrait être fait pour la restitution de ces îles au peuple malgache.
Parmi les artisans de l’action diplomatique ayant conduit à la résolution des Nations Unies sur la rétrocession des îles éparses à Madagascar, le professeur Raymond Ranjeva, ancien vice-président de la Cour internationale de justice (CIJ), donne son point de vue sur le dossier dans l’émission « Salangalanga » diffusée sur la RTA, hier. Le magistrat international affirme qu’ici, une diplomatie secrète n’est pas la solution et qu’il est nécessaire d’impliquer la population. Un pays ne sort jamais gagnant d’une bataille diplomatique sans l’appui de sa population, soutient-il. Extraits.
• Le sujet des îles éparses fait actuellement grand débat. Vous avez été parmi les techniciens à engager la demande de rétrocession des îles éparses dans les années 70. Il y a eu la rédaction d’une note verbale de 1973 et la résolution de 1979. Cette résolution veut-elle réellement dire que ces îles appartiennent à Madagascar?
– Pour parler du sens de cette résolution, il est nécessaire de revenir à la note verbale de 1973. Elle indique qu’il y a une divergence de point de vue entre Madagascar et la France sur la souveraineté du territoire. Les îles malgaches (îles éparses) n’ont pas été spécifiquement citées, mais il était clair que le désaccord porte sur ces atolls. Pourquoi avoir utilisé cette expression  Parce que durant les négociations, les revendications malgaches ont été rappelées. Entre autres, la refonte de l’accord de 1960, qui prévoit que Madagascar est indépendante, mais ne jouit pas pleinement de sa souveraineté nationale. L’accord de 1973 casse la distinction entre indépendance et souveraineté nationale. Le point important était que l’accord de 1973 était accepté par les deux parties.
L’autre point de revendication est la rétrocession de ces îles sous la souveraineté malgache. La position des deux pays diverge, donc, sur la souveraineté de ces îles. Il est faux de dire qu’il y a incident diplomatique ou autre. La note verbale a pour objet de déterminer précisément le point de désaccord entre les deux pays. La note verbale qui est le summum des correspondances interétatiques, implique aussi que Madagascar ait proposé une solution et attende la réponse de l’autre partie. Il est important de souligner le poids de la note verbale, car cela signifie qu’à partir du jour de son émission, tous les droits des deux parties sur ces îles sont gelés. Aucune décision unilatérale n’est ainsi permise. Le cas échéant, la partie lésée a le devoir de défendre ses droits. Si l’on regarde avec les yeux du juge international que je suis, lorsqu’il faudra démêler le dossier, tous les faits depuis le 4 juin 1973, pourront être retenus dont la partie responsable de la non-application de la résolution.
• Tout cela est clair, mais qu’en est-il après la résolution de 1979?
– Entre 1973 et 1979, il y a eu deux moments à souligner. Le premier est la démonstration sur la scène internationale de l’idée défendue par Madagascar, devant l’Union africaine et devant l’organisation des États non-alignés. Durant ces réunions, il y a eu quelques réticences à cause de la Guerre froide. Le deuxième est qu’il y a eu l’élaboration d’une nouvelle loi internationale régissant les mers et océans. Madagascar a joué un rôle majeur dans la rédaction de l’article 121 de cette loi, concernant le statut des îles. (…) En 1979, tous les paramètres étaient réunis. Dans un point de l’ordre du jour de son sommet, les Nations unies ont, ainsi, invité Madagascar et la France à négocier sur les îles autour de Madagascar. Le problème est que la raison des négociations n’a pas été précisée. C’est pour cela qu’il a été décidé d’indiquer précisément le point de négociation. Il a donc été souligné que ces îles sont malgaches et doivent revenir à Madagascar. C’est ce qui a mené à la résolution de 1979. (…)
• Aujourd’hui donc, plus aucun État ne peut contester que ces îles soient malgaches?
– (…) Je pense que ce serait une erreur, pour nous Malgaches, de continuer à dire que nous revendiquons ces îles car, cela signifie que nous n’avons pas confiance en nous, alors que nous en détenons les droits de propriété. La résolution n’est plus susceptible de recours. (…) Le problème qui n’est pas résolu jusqu’ici et dont il est nécessaire de trouver la solution, est la manière de restituer ces îles à Madagascar. Il ne s’agit même plus de négociation.
• Mais comment devrait-on, alors, procéder pour y parvenir?
– C’est une question de procédure, mais elle nécessite une volonté. C’est le rôle de l’État, en charge des relations internationales, de concrétiser la rétrocession de ces îles à Madagascar. Si l’on se base sur les lois internationales, notamment l’article 33 du statut des Nations unies, le pays cherche tous les moyens pour y parvenir, que ce soit discussion, plainte devant les instances judiciaires, ou accord. Je n’entrerai pas dans les détails car, je ne suis pas au fait de ce qui se passe déjà en coulisses. Mais, c’est le rôle du pouvoir de donner force exécutoire à la résolution, car tous les moyens et outils sont déjà en sa possession.
• Depuis 1979, pourtant, il n’y a eu aucune avancée sur ce dossier. Quels pourraient être les facteurs de blocage qui font que 36 ans plus tard, nous en sommes encore à ce stade ?
– Cela fait presque 40 ans que les choses sont claires concernant ce dossier, mais ce n’est que maintenant que nous en sommes conscients. (…) Et je me demande, combien d’années devront encore s’écouler, car ce n’est plus mon rôle, celui du citoyen, mais des tenants du pouvoir de faire en sorte que la résolution des Nations unies soit concrétisée. Dans ce sens, je suis surpris lorsque j’entends que l’État compte dénouer le problème par le biais d’une diplomatie secrète. Donc, dans le secret. Un pays ne sort jamais gagnant d’un désaccord diplomatique sans l’appui de sa population. Comment voulez-vous que le peuple vous soutienne, alors que vous le tenez à l’écart des affaires étatiques. En plus, cela s’est déjà produit à Madagascar, en 1973, le général Gabriel RamananÂtsoa –ancien chef d’État– a souligné que le processus de révision de l’accord de coopération était secret. Une position réaffirmée par Didier Ratsiraka, à l’époque, capitaine de frégate. Qu’est ce qui s’est passé ? Il y a eu des soulèvements populaires dans des villes comme Toamasina, avec des drapeaux français. C’est là que les responsables de l’époque ont décidé qu’il fallait expliquer à la population les tenants et aboutissants du processus, partager périodiquement son évolution. Il s’agissait d’impliquer la population dans le dossier. Aussi, à notre retour de France, le peuple s’est senti concerné et partie prenante au processus et non plus de simples spectateurs. (…) Depuis 40 ans, je sais juste qu’il n’y a eu qu’une seule négociation, en 1990, en France. Il a été question d’exposer les points de désaccord entre les deux pays. Après, je n’ai plus pris part au dossier, à cause d’autres responsabilités. Alors, je ne suis plus au fait de son évolution.
• Du temps de l’ancien président Ratsiraka, il y a eu une idée de porter le dossier devant la Cour internationale de Justice. Actuellement, la France démontre qu’elle est prête à en découdre. Pourquoi n’avons-nous concrétisé cette intention et serait-ce encore une option?
– Premièrement, c’était en 1973 que l’idée de porter le dossier devant la Cour internationale de justice (CIJ), à La Haye, a germé. Du temps où il était ministre des Affaires étrangères, Didier Ratsiraka a déclaré que si la France veut porter l’affaire devant la CIJ, nous, Malgaches, sommes prêts. Mais, entretemps, il y a eu une plainte de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande contre la France, sur le dossier des essais nucléaires dans l’Océanie. Si l’option de porter le dossier Îles éparses devant la CIJ a été brandie, en 1973, c’est parce que, comme le veut la procédure, la France a officiellement accepté la compétence de la Cour sur le sujet. Mais, à cause de l’affaire sur les essais nucléaires, où la responsabilité de la France a été reconnue par la CIJ, l’Hexagone a retiré son approbation de la compétence de la CIJ sur les dossiers impliquant la France, dont les îles éparses. Donc, il faut tout de suite dire que la CIJ n’est plus l’instance compétente sur ce sujet, sauf si, (…). Il y a un accord entre les deux pays de porter, à nouveau, le dossier devant la Cour internationale de justice. C’est ce que l’on appelle stratégie de diplomatie judiciaire. Mais ce n’est pas la seule voie pour régler le dossier, il y a d’autres options diplomatiques, et même judiciaires, que l’on peut emprunter. Les options sont larges.
• Mais est-ce que Madagascar a le poids ou la dimension et la force nécessaires pour s’engager dans une âpre négociation avec la France?
– Quelle est notre faiblesse actuellement  Notre faiblesse est la vulnérabilité psychologique et intellectuelle. Il semble que la culture de réflexion et de recherche semble totalement détruite. Il semble que maintenant, ce sont ceux qui haussent le ton qui ont raison. Là est le problème, d’autant plus que, nous sommes convaincus que nous sommes pauvres et qu’il nous faut nous en remettre aux aides. Nous sommes psychologiquement pris en étau et ce n’est pas dans cet état d’esprit que nous allons avancer sur ce dossier. (…) Ensuite, ce n’est pas parce que nous sommes pauvres qu’il faut systématiquement faire des erreurs ou agir n’importe comment, ou qu’il faut toujours quémander et attendre d’être servis. Il faut une population prête à affronter l’adversité et nous défaire de l’acception que, bien que le pays soit riche, sa population est ignorante et donc, il est nécessaire que ces richesses soient exploitées par des étrangers.
(…) Il faut que nous prenions conscience que nous sommes propriétaires de ces richesses. Ce n’est pas une question d’économie, mais de politique. (…) La question s’impose donc : quel genre de société voulons-nous mettre en place? Une société amenant la cohésion et la solidarité des Malgaches, ou continuer sur la voie actuelle  Il n’y aura pas de développement économique tant qu’il n’y aura pas de solution politique. Ces îles ont de grands enjeux, à la fois géopolitiques, mais aussi et surtout, d’elles dépendent le futur de Madagascar. (…) L’objectif ici est de prévoir ce qu’il en sera pour les 50 ans à venir.
• Maintenant, quelle stratégie devrait-on alors mettre en place?
– Je ne suis pas là pour critiquer quiconque et ce qui a déjà été entrepris, mais il est nécessaire de mettre en place une plateforme pour rassembler les efforts et les initiatives de chacun (…), afin de débattre et étudier toutes les voies possibles. La clé de voûte de ce dossier est la confiance de l’État en sa capacité à maîtriser le problème et à avoir le leadership nécessaire pour impulser un élan national, afin de concrétiser ce qui est déjà acquis. (…) Ce qui est dommage, c’est que depuis 2 ans, personne n’a su où en était l’État sur le sujet. Il a fallu qu’il soit pressé par les événements avant de faire part de ses idées. Ce n’est pas cela faire de la politique, selon moi. Faire de la politique, même de la diplomatie, c’est définir clairement une feuille de route, pour que tous soient au fait du cheminement et des objectifs d’une action. Certes, il faut aussi une certaine stratégie et ne pas dévoiler toutes ses cartes d’un coup, mais il faut une politique de communication. (…) La question qui se pose est : Comment souhaitons-nous conduire les affaires étatiques
• Selon vous, quelle serait alors la solution?
D’un regard de magistrat international, ce dossier ne sera pas résolu, tant que les Malgaches ne seront pas convaincus qu’ils ne font qu’un. C’est la première condition. Et les juges internationaux partent toujours du postulat : la partie plaignante considère-t-elle réellement le sujet du désaccord comme lui appartenant  Si nous parlons de patrie à Madagascar, quel est le sens de ce mot  Il faudrait partir d’une chose simple. Par exemple, inclure ces îles dans la carte de Madagascar. Deuxièmement, il n’y aura pas d’avancée sur ce dossier, tant qu’il n’y aura pas l’adhésion de tous et que tous estiment que c’est une cause nationale. Un élan pacifique, néanmoins, car nous ne sommes plus au stade de revendications, mais dans la recherche de la manière de concrétiser les résolutions des Nations Unies et du respect de nos droits.
L’Express de Madagascar