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Jacques Chirac. Retour sur un “Africain” méconnu sinon méprisé

Jacques René Chirac est décédé le 26 septembre 2019 à Paris des suites d'une insuffisance rénale, à 86 ans. Maire de la Capitale française entre 1977 et 1995, il est surtout connu pour avoir été le 22ème Président de la République française, du 17 mai 1995 au 16 mai 2007. Mais il a également été le Premier ministre du Président Valéry Giscard d'Estaing (1974-1976) et celui du Président François Mitterrand (1986), inaugurant ainsi la pratique de la cohabitation politique dans la gestion des affaires de l'état français.

Ce parcours est connu par cœur des politiciens de France, de Navarre et du monde entier. Mais il existe d'autres facettes de la vie de cet homme, qui méritent à être connues des Africains en général, des Malagasy tout particulièrement. Ceux bercés d'idées préconçues, de “Françafrique” et de racisme tout court. En 2007, le confrère Vincent Hugueux avait publié dans L'Express français, un article intitulé “Le testament de Chirac l'Africain”. Tiens!? J'ai décidé de faire des recherches basées sur cet article, et cela est devenu l'hommage que je vous propose aujourd'hui, dans ce dossier axé sur des déclarations d'une forte personnalité, dans les deux sens du terme qui sont : 1. Ce qui différencie une personne de toutes les autres; 2. Ce qui fait l'individualité d'une personne.

Durant ses deux mandats présidentiels, totalisant 12 années, Jaques Chirac, en tant que Président de la République, a visité 39 pays du continent africain, et y a assisté 11 fois à des sommets multilatéraux (Afrique-France, Europe-Afrique, francophonie, santé, lutte antiterroriste).

Afrique du Nord

Six visites en Egypte, trois au Maroc et en Tunisie, deux en Algérie et une en Libye.

Afrique subsaharienne

Deux visites pour chacun des pays suivants: Sénégal, Burkina Faso, Mali, Congo-Brazzaville, Madagascar et Afrique du Sud.

Le Gabon

S'il ne s'est rendu qu'une fois à Libreville, mais le Président Chirac a reçu à Paris son homologue gabonais et ami Omar Bongo plusieurs dizaines de fois et aussi bien à l'Hôtel de ville qu'au palais de l'Elysée.

Les pays africains où Chirac n'a jamais mis les pieds

République démocratique du Congo (ex-Zaïre), République centrafricaine et Rwanda.

Le 18 juillet 1996, devant le Parlement congolais, à Brazzaville, voici des extraits de ses propos: “ (...) Que ne dit-on pas sur l'Afrique ! Depuis quelques années, un pessimisme complaisant s'affiche, prétexte facile au désengagement des pays riches. On voudrait accuser l'Afrique de tous les maux pour donner du confort à son propre égoïsme. C'est justement ce contre quoi la France se bat aujourd'hui. Finissons-en avec les descriptions apocalyptiques de l'Afrique ! Regardons devant nous, au-delà de l'horizon immédiat. Nous voyons une Afrique pleine de promesses, mais aussi une Afrique qui doit surmonter les graves difficultés qu'elle connaît mais elle le peut. C'est que l'Afrique n'en finit pas de payer son tribut à l'Histoire. Il est temps que l'Occident et l'Afrique acceptent de regarder ensemble leur passé commun, aussi douloureuses qu'en soient certaines pages. La dignité des uns et des autres passe par la reconnaissance d'une histoire que l'Occident ne doit plus ignorer ni taire, celle de la déportation de millions et de millions d'Africains pendant près de trois siècles et demi. Pour du sucre et du café, des Européens et des Africains ont accepté d'arracher à leurs terres et à leurs familles des hommes libres, contraints à traverser les océans pour aller travailler jusqu'à la mort dans l'esclavage le plus dégradant. Notre culture et notre histoire convergent pour briser enfin la chape de silence qui étouffe encore la tragédie de la traite négrière.

En arrachant ces hommes, les plus jeunes et les plus vigoureux, la traite a amorcé un long processus de sous-développement dont les séquelles ne sont pas encore cicatrisées. Elle a brisé l'esprit d'initiative de paysans, terrorisés par l'éventualité de razzias qui les surprenaient sur le chemin de leurs champs, ou par l'attaque de leurs villages au petit matin. L'artisanat n'a pas pu soutenir le choc de la concurrence des produits européens que les négriers déversaient à pleines cales pour acheter les esclaves. Un lent martyre conduisait inéluctablement ces hommes à accepter la condition de victimes, brisant tout élan créateur. Mais le mal ne s'est pas arrêté là. En dispersant ses oeuvres d'art aux quatre vents des musées et des collections particulières, l'Occident a vidé l'Afrique de ses supports spirituels. Aujourd'hui, l'Occident devrait, non pas réparer, car ni le sang, ni le viol spirituel n'ont de prix, mais construire de nouvelles bases de collaboration et d'entraide où chacun puisse reconnaître et respecter l'identité de l'autre. C'est d'autant plus nécessaire que, plus tard, l'économie de rente, les violences importées, les divisions ethniques, devaient hypothéquer encore l'avenir de l'Afrique, en faussant ou en détruisant les équilibres sociaux, les repères traditionnels, les références ancestrales (...).

(...) L’Afrique souffre d’une grave crise de confiance. Nous devons l’en délivrer. Il en va de notre devoir comme de notre intérêt. Ce serait à la fois manquer de générosité et de réalisme politique que de penser qu’un continent aussi proche du nôtre, et qui comptera bientôt un milliard d’âmes, peut être ignoré, voire brutalement marginalisé. Finissons-en avec les descriptions apocalyptiques de l’Afrique. Regardons devant nous, au-delà de l’horizon immédiat. Nous voyons une Afrique pleine de promesses”.

Le 19 janvier 2001, durant le XXIème Sommet France-Afrique à Yaoundé, au Cameroun, Jacques Chirac révéla des vérités trop longtemps tues: «Ce continent, nous lui avons d'abord pris ses richesses. C'est curieux, disait-on alors, ces Africains ne sont bons à rien. Puis les colons ont envahi ses bois sacrés, pillant le cœur même du chamanisme. C'est étrange, s'étonnait-on, ces gens-là n'ont pas de culture. Aujourd'hui, on agit de même, mais avec plus d'élégance. L'Occident leur pique leurs cerveaux, par le biais d'une institution condamnable: les bourses. Il s'agit là, à mes yeux, d'une autre forme d'exploitation. Soyons clairs: on s'est bien enrichis à ses dépens. Nous devons, c'est vrai, encourager la marche vers la démocratie. Mais sans arrogance, sans humilier».

Un autre aspect de la personnalité de Jacques Chirac dont vous n'aurez jamais idée. Depuis la fin des années 1960, le début des années 1970, il a été militant de l'ANC (African National Congress), le parti de Nelson Mandela. Si! Il le raconte dans le livre de Pierre Péan, publié aux éditions Fayard en 2007, intitulé à juste... titre : “L'Inconnu de l'Elysée”. “(...) J'ai été approché par Hassan II, le roi du Maroc, pour aider au financement de l'ANC. [...] Je me souviens qu'à l'époque, le président sud-africain, qui devait être Vorster, exerçait d'énormes pressions auprès de nos ministres pour qu'ils viennent en Afrique du sud. Un certain nombre de ministres français ont accepté ces invitations. Moi aussi, j'ai été très sollicité... Les dirigeants de l'Afrique du Sud voulaient nous faire croire que l'apartheid était normal, ou n'existait pas. J'ai déclaré officiellement, et de la manière la plus claire, urbi et orbi que je n'y mettrais pas les pieds tant que l'apartheid existerait”.


Le Président Chirac sera présent à Johannesburg lors du Sommet de la Terre en septembre 2002. J'y étais également, où je l'ai entendu déclarer : “ Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l'admettre. L'Humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous sommes indifférents. La Terre et l'Humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables. Il est temps, je crois, d'ouvrir les yeux. Sur tous les continents, les signaux d'alerte s'allument. L'Europe est frappée par des catastrophes naturelles et des crises sanitaires. L'économie américaine, souvent boulimique en ressources naturelles, paraît atteinte d'une crise de confiance dans ses modes de régulation. L'Amérique Latine est à nouveau secouée par la crise financière et donc sociale. En Asie, la multiplication des pollutions, dont témoigne le nuage brun, s'étend et menace d'empoisonnement un continent tout entier. L'Afrique est accablée par les conflits, le SIDA, la désertification, la famine. Certains pays insulaires sont menacés de disparition par le réchauffement climatique.Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! Prenons garde que le 21e siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d'un crime de l'Humanité contre la Vie. Notre responsabilité collective est engagée. Responsabilité première des pays développés (...).

Nous avons devant nous, je crois, cinq chantiers prioritaires:

Premier chantier : Le changement climatique d'abord. Il est engagé du fait de l'activité humaine. Il nous menace d'une tragédie planétaire. Il n'est plus temps de jouer chacun pour soi. De Johannesburg, doit s'élever un appel solennel vers tous les pays du monde, et d'abord vers les grands pays industrialisés, pour qu'ils ratifient et appliquent le Protocole de Kyoto. Le réchauffement climatique est encore réversible. Lourde serait la responsabilité de ceux qui refuseraient de le combattre.

Deuxième chantier : l'éradication de la pauvreté. À l'heure de la mondialisation, la persistance de la pauvreté de masse est un scandale et une aberration. Appliquons les décisions de Doha et de Monterrey. Augmentons l'aide au développement pour atteindre dans les dix ans au maximum les 0,7% du PIB. Trouvons de nouvelles sources de financement. Par exemple par un nécessaire prélèvement de solidarité sur les richesses considérables engendrées par la mondialisation.

Troisième chantier : la diversité. La diversité biologique et la diversité culturelle, toutes deux patrimoines communs de l'Humanité, toutes deux sont menacées. La réponse, c'est l'affirmation du droit à la diversité et l'adoption d'engagements juridiques sur l'éthique.

Quatrième chantier : les modes de production et de consommation. Avec les entreprises, il faut mettre au point des systèmes économes en ressources naturelles, économes en déchets, économes en pollutions. L'invention du développement durable est un progrès fondamental au service duquel nous devons mettre les avancées des sciences et des technologies, dans le respect du principe de précaution. La France proposera à ses partenaires du G8 l'adoption, lors du Sommet d'Évian en juin prochain, d'une initiative pour stimuler la recherche scientifique et technologique au service du développement durable.

Cinquième chantier : la gouvernance mondiale, pour humaniser et pour maîtriser la mondialisation. Il est temps de reconnaître qu'existent des biens publics mondiaux et que nous devons les gérer ensemble. Il est temps d'affirmer et de faire prévaloir un intérêt supérieur de l'Humanité, qui dépasse à l'évidence l'intérêt de chacun des pays qui la compose (...)”.

Malheureusement, malgré la COP21 (Conférence de Paris sur les changements climatiques qui s'est tenue du 30 novembre au 12 décembre 2015 au Bourget en France) et sa suite, la planète Terre ne cesse de se consumer sans répit et inexorablement... Mais restons dans les relations Afrique-Chirac.


Extraits du discours du Président Jacques Chirac, lors du XXIVème Sommet France-Afrique, à Cannes, le 15 février 2007 : "(...) L'Afrique et le monde sont en fait à la croisée des chemins. Avec cette question majeure : quelle place pour l'Afrique dans la mondialisation ? De deux choses l'une. Soit la facilité du court terme et les autres égoïsmes l'emportent, et l'Afrique peut, une nouvelle fois, être mise au pillage, laissée pour compte de la prospérité, isolée dans ses difficultés. Ce serait un danger immense pour le monde entier . Soit nous relevons le défi du développement et l'Afrique prendra toute sa place dans la mondialisation pour devenir un pôle de paix et de prospérité, ce qu'elle a vocation à être. Nous sommes réunis parce que nous sommes convaincus que rien n'est joué. Que l'Afrique a tous les atouts et toutes les chances. Parce que, conscients des défis, nous savons aussi que tout est possible dans ce monde où il n'y a plus de situation acquise, où les cartes sont constamment rebattues.

Nous sommes réunis parce que la France aime l'Afrique, se sent liée à elle par les engagements de la fraternité, de l'histoire et, tout simplement, du c?ur. Avec, pour ce qui me concerne, une double conviction : il n'y aura pas de mondialisation réussie sans une Afrique forte et confiante. Mais les efforts de l'Afrique seraient réduits à néant, si le monde ne l'épaulait pas dans sa marche vers l'avenir. (...) Au Sommet du Millénaire (Ndlr: en 2002, après une première venue en Afrique du Sud du 26 au 28 juin 1998), des engagements solennels ont été pris en faveur de l'Afrique. Constatant que les budgets des Etats développés ne suffiraient jamais à les financer, et qu'ils ne seront pas réalisés, j'ai lancé, il y a trois ans, des travaux sur les financements innovants. Ils portent leurs premiers fruits, avec la contribution de solidarité sur les billets d'avion et UNITAID. C'est une solution de bon sens, c'est la seule solution de l'avenir. Mais cette contribution exceptionnelle sur les billets d'avions et UNITAID ne sont qu'une expérience. Il faut la développer et l'appliquer à d'autres objectifs comme l'eau, la gestion des forêts, l'éducation pour tous et notamment pour les filles. Avec vous, la France et l'Europe, porteront ces combats majeurs pour l'avenir du monde.

Mes chers Amis,

Vous le savez, j'aime l'Afrique, ses territoires, ses peuples, ses cultures. Je mesure ses besoins, je comprends ses aspirations. Je sais qu'elle porte en elle un dynamisme exceptionnel. J'ai confiance dans son avenir car j'ai la conviction que l'Afrique nouvelle est en marche. Puisse notre Sommet de Cannes montrer au monde qu'il faut désormais compter avec l'Afrique.

Je vous remercie”.

Sur d'autres plans moins “politiques”, Jacques Chirac aura donc été l'avocat inlassable de l'effacement de la dette, de la taxe sur les billets d'avion et, aussi, du dispositif UNITAID dont la mission est de faciliter l'accès aux médicaments contre le sida, le paludisme et/ou la tuberculose. Révélation pour vous : l'UNITAID (Innovation pour la santé mondiale) a été créée en septembre 2006 par le Brésil, le Chili, la France, la Norvège et le Royaume-Uni dans le but d'aborder le sujet de la santé dans le monde de façon innovante. Administrée par l'Organisation mondiale de la Santé, l' UNITAID a pour mission de trouver de nouvelles méthodes pour prévenir, traiter et diagnostiquer plus rapidement, à moindre frais et plus efficacement le vih/sida, la tuberculose et le paludisme. Il est clair que l' UNITAID reçoit des financements du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui a tenu, à Lyon, sa VIème Conférence de reconstitution de ressources, les 9 et 10 octobre 2019.


Le 10 mai 2008, lors du documentaire télévisé “Africaphonie”, Jacques Chirac aura été aux antipodes de Charles de Gaulle: « On oublie seulement une chose: une grande de partie de l’argent qui est dans notre porte-monnaie vient précisément de l’exploitation depuis des siècles de l’Afrique, pas uniquement mais beaucoup viennent de l'exploitation de l'Afrique. Alors il faut avoir un peu de bon sens, je ne dis pas de générosité, un peu de bon sens, de justice, pour rendre aux Africains, je dirais ce qu’on leur a pris. D'autant que c'est nécessaire si l'on veut éviter les pires convulsions ou difficultés avec les conséquences politiques que ça comporte dans le proche avenir ». Faudrait-il comprendre, ici, que s'il avait encore été président, les îles malagasy, éparpillés dans l'océan Indien, auraient été restituées à Madagascar? Il a vraiment emporté son secret dans la tombe, à ce sujet.

Ce n'est pas tout le monde qui aimait et appréciait Jacques Chirac. Mais là où il se trouve, à présent, personne ne pourra jamais douter de ce qu'il a affirmé, un jour de sa vie bien remplie: “ Il y a un défaut que je n'ai pas, c'est celui d'être rancunier. C'est un sentiment qui m'est totalement étranger”. Il y a dix ans, en juillet 2009, dans un entretien pour le magazine Jeune Afrique, Jacques Chirac avait voulu “adresser un message de «respect» vis-à-vis de l’Afrique”. Il a déclaré que “l’homme africain a été le premier homme civilisé. Il ne faut jamais oublier la perspective historique. Les Africains doivent être fiers d’eux-mêmes. Soyez fiers d’être Africains. Le monde a besoin de l’Afrique”.

Reposez en paix Grand homme.

 

Jeannot Ramambazafy

Mis à jour ( Mercredi, 30 Octobre 2019 16:59 )  
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