I - De quelques grands dossiers
La rigueur dans la gestion des deniers publics relève du domaine de la bonne gouvernance, mais également de l’obligation de rendre compte publiquement de l’usage fait de l’argent des contribuables. Sans une gestion rationnelle et transparente de l’Etat, la méfiance persistera entre gouvernants et gouvernés. C’est ce qui a amené le SeFaFi à s’exprimer à ce sujet [1] brûlant d’actualité.
Les dossiers de la période Ratsiraka et Zafy
« La cour criminelle vient de confirmer (octobre 2007) l’arrêt rendu en août 2006 condamnant Pierrot Rajaonarivelo et deux complices pour avoir détourné entre 1997 et 2002 plus de 26 milliards Fmg au préjudice de l’Etat malgache : deux notes de service signées par l’intéressé, alors vice premier ministre chargé du Budget, ont permis le paiement des droits et taxes dûs au titre d’importation de véhicules 4x4 auprès de deux concessionnaires automobiles.
Il y a quelques mois une déclaration du Ministre des Finances avait attiré l’attention du public sur des avoirs de Tantely Andrianarivo dans une banque Suisse l’équivalent de dizaines de milliards Fmg. D’après des publications dans la presse (notamment dans l’Express de Madagascar des 21, 22 et 23 mai 2007), ces avoirs résulteraient de transferts effectués par l’intermédiaire de mécanismes de la conversion de dettes. A noter que les transferts ont été effectués surtout entre 1990 et 1996, alors que l’intéressé n’exerçait aucune responsabilité politique, puis en 2002 lorsqu’il était Premier Ministre.
L’ex-Président Ratsiraka a, quant à lui, été condamné en 2003 par contumace par la cour correctionnelle pour avoir détourné des deniers publics d’une valeur de 50 milliards Fmg à la Banque Centrale de Tamatave. À cet égard, si des faits délictueux, et même criminels, ont été perpétrés pendant la crise de 2002, l’examen de la situation confirme que les dysfonctionnements du système existaient bel et bien avant cet évènement, et les informations véhiculées par la presse ou sur internet font état de la persistance de telles pratiques après 2002.
Ainsi un agent du Trésor, du nom de Gariste Daméogéonie, a prélevé au Ministère des Finances pendant des années pour son compte des sommes totalisant plusieurs dizaines de milliards provenant de prises en charge de fonctionnaires malades. Des dettes ayant déjà fait l’objet d’annulations par les créanciers extérieurs ont encore donné lieu à des transferts de la Banque Centrale de Madagascar. Des dettes rachetées une fois ont fait l’objet d’un second rachat, donnant lieu à des enrichissements illicites. Des détournements importants ont été découverts pratiquement dans toutes les agences de la Banque Centrale. A qui ont profité ces détournements ? La lumière doit être faite et des sanctions prises à l’encontre des contrevenants » [2].
Les dossiers de la période Ravalomanana
La gestion des affaires du pays sous le précédent régime n’a pas été un modèle de transparence et d’efficacité. Le détail des dossiers du mandat de Marc Ravalomanana, est ici, loin d’être exhaustif.
Septembre 2002. Marc Ravalomanana s’offre un Boeing 737 300 luxueusement aménagé en avion privé. Au-delà du débat sur l’opportunité d’une telle acquisition au moment où le pays sortait d’une longue crise qui avait laissé l’économie exsangue, des questions étaient restées sans réponse. Le manque de transparence sur le prix réel de cet appareil attestait d’une mauvaise gouvernance. 8 millions de dollars avaient été acquittés auprès de Lauda Air, la compagnie propriétaire de l’aéronef, alors que 11 millions de dollars avaient été décaissés de la Banque centrale. En janvier 2009, la réception d’un nouvel avion présidentiel défraye la chronique. Aucun détail n’a été fourni jusqu’à ce que le FMI exige des précisions sur les modalités d’acquisition de l’appareil. Plus tard, le ministre des Finances et du Budget, Hajanirina Razafinjatovo, révèlera que la moitié du prix (soit environ 30 millions d’euros) a été financé sur un report de crédit non utilisé en 2008 et que Marc Ravalomanana s’est acquitté personnellement de l’autre moitié. En fait, Air Force One Two appartenait à Elham Enterprises Ltd. La facture d’un montant de 38 millions de dollars a été payée par Daewoo Logistic, sans doute aux îles Caïmans. Curieusement, la Banque Centrale de Madagascar a opéré, en décembre 2008, un virement de 60 millions de dollars en France, soit l’équivalent de 112 milliards d’Ariary. Pourquoi donc, et à qui, la Banque centrale a-t-elle payé près du double de la facture, alors que le Chef de l’Etat s’était, dit-on, personnellement acquitté des 50 % ?
Le 9 novembre 2004, la Caisse d’Epargne a dû prélever et transmettre au Ministre des Finances de l’époque, Radavidson Andriamparany, 4 milliards d’Ariary en espèces, « pour le besoin immédiat de l’Etat Malagasy ».
D’énormes sommes ont été soustraites de la Banque centrale et de ses agences en province puis dissimulées dans des glacières et des frigidaires avant d’être acheminées vers le palais de Iavoloha. 12 milliards d’Ariary ont été détournés de l’agence de Manakara, sans que les véritables auteurs du délit aient été inquiétés puisqu’ils ont pu, entre-temps, quitter le territoire (Ndlr : Impliqué dans cette affaire, Louis Ranjeva, frère de Raymond et de Marcel Ranjeva, dont on ignore où il réside actuellement). Des opérations du même type ont été effectuées auprès des agences de Toamasina, Sambava et Morondava. Mais apparemment, ces sorties de fonds physiques ont été régularisées par la Banque centrale, qui les a couvertes par des chèques émis par le Trésor. Ce qui met en cause la responsabilité du Gouverneur de la Banque centrale de l’époque.
Des comptes du Port de Toamasina, 12 milliards d’Ariary ont été débloqués en octobre 2004 pour financer la construction de la minoterie Mana appartenant au groupe Tiko. De même, l’équipement en machines Buhler de cette minoterie a été financé par le Directeur Général de la Compagnie d’Assurances Aro, au moyen de faux bons de trésor d’une valeur de 5 milliards d’Ariary. Ces faux engagements de l’État ont été donnés à des opérateurs en garantie des prêts pour lesquels les dits opérateurs ont accepté de débloquer des sommes à titre d’avances. L’acquisition d’autres matériels a été financée par Aro.
Aro a également été, à l’époque, contrainte par les deux ministres des Finances et du Budget de Marc Ravalomanana, Hajanirina Razafinjatovo et Radavidson Andriamparany, de consentir un prêt sans garantie de 17 milliards d’Ariary pour l’acquisition d’actifs, dont 25.000 ha de rizières à Vohidiala (Alaotra), toujours au profit du groupe Tiko. Un prêt de 800 millions d’Ariary a été également octroyé par la Sonapar en vue de la création de l’entrepôt et de l’usine Fanampy Rice.
Le même groupe est redevable envers l’État de 174 milliards d’Ariary au titre des impôts non payés et de 29 milliards d’Ariary, d’arriérés de paiement vis-à -vis de l’administration des douanes. Des dossiers concernant les déclarations d’admission temporaire ont disparu comme par enchantement.
Les terrains d’Andohatapenaka, appartenant à l’Etat, ont été confisqués au profit des sociétés Alma et Tiko Agri, leur remblaiement ayant été payé par la Région d’Analamanga (pour 3.654.140.000 Ariary). Une opération effectuée dans une zone interdite de remblaiement.
Les dossiers de la Transition
Mais le régime de la Transition n’échappe pas davantage à cette mauvaise gouvernance. De hauts responsables de l’administration comme des organismes rattachés se transforment en pourvoyeurs de fonds pour les prochaines campagnes électorales et se sucrent en passant. Quelques ministres ont pu s’offrir de luxueuses villas le temps de leur passage au gouvernement. Et la « tolérance zéro » contre toute sorte de corruptions et de mauvaise gestion des deniers publics prônée sur la Place du 13 mai est restée lettre morte. L’espoir que prenne fin l’impunité s’est envolé.
La vente du riz de Tiko dont l’achat avait été financé par la BOA et cautionné par le Trésor en son temps a fait également couler beaucoup d’encre. La cellule opérationnelle mise en place par la HAT a écoulé le stock de riz auprès des grossistes. Mais elle n’a pas obtenu la quittance du Trésor qui a constaté une discordance entre le tonnage effectivement sorti du port de Toamasina et le montant des encaissements. Des personnalités bien connues se sont ingérées dans les transactions et ont retiré frauduleusement des tonnages importants de l’enceinte du Port sans être inquiétées ; d’autres par contre, qui ont tenté de réagir, ont perdu leur poste.
Jusqu’à maintenant la lumière n’a pas été faite sur les 500 millions d’Ariary que Marc Ravalomanana a publiquement reconnu avoir versés à la hiérarchie de la gendarmerie, laquelle aurait subtilisé la somme. Cette affaire a suscité les remous que l’on sait auprès de la Force d’Intervention de la Gendarmerie Nationale (Fign). Le Bianco, saisi de l’affaire, a ouvert une enquête dont les résultats, pour des motifs qu’on ignore, sont toujours gardés au secret. Il revient pourtant d’assurer le suivi de ses dossiers.
Le trafic de bois de rose est devenu un dossier à rebondissements sans que l’État jusqu’à maintenant n’ait pu (ou voulu ?) lever le voile sur ces juteuses affaires. Le précédent régime y a été impliqué et particulièrement la famille présidentielle qui s’était appropriée les 1.200 m3 de bois précieux saisis et stockés à Iavoloha et bien d’autres, découverts dans les propriétés de Tiko.
Le régime de transition ne fait pas davantage preuve de volonté politique pour mettre un terme au trafic. Tout a commencé en mars 2009, lorsque des milliers de personnes ont envahi les aires protégées dont le Parc national de Masoala pour y abattre des essences rares comme le bois de rose. La mise en place d’une « Task force » n’a pas permis d’endiguer le fléau. L’autorisation donnée aux opérateurs à exporter leurs stocks moyennant le paiement de 72 millions d’Ariary par conteneur à titre de redevances a ouvert la voie à de nombreuses dérives même si cette décision a permis à l’Etat d’encaisser près de 18 milliards d’Ariary.
L’arrêté interministériel n° 38 244 du 21 septembre 2009 était censé mettre un terme au trafic, dont profitaient largement les hommes du pouvoir, en autorisant l’exportation des bois déjà coupés. Cette demi-mesure stimula les coupes, légalisées ensuite sous prétexte de régularisation des stocks. À la suite de quoi, et malgré le décret 2010-41 du 24 mars, portant interdiction de coupe, d’exploitation et d’exportation du bois de rose, d’importantes cargaisons de ce bois précieux continuent à quitter régulièrement nos ports - avec des papiers en règle, semble-t-il. Le silence scandaleux qui est maintenu sur l’affaire des 15 conteneurs saisis aux Comores, et qui a valu le déplacement médiatisé du premier Ministre, tend à prouver l’implication de hauts responsables dans cette affaire. Les autorités ont le devoir de rendre compte aux citoyens des résultats de l’enquête qui a officiellement été diligentée après ce scandale.
Il apparaît à l’évidence que le bois précieux fait l’objet d’un trafic mafieux de grande envergure, qui dispose d’appuis solides au sein de la Transition, et jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir : les noms de nombreuses personnalités impliquées sont connus, les journaux les citent ou les décrivent de manière suffisamment précise pour qu’on les identifie. Il faut en conclure soit à l’impuissance des premiers responsables politiques actuels, soit à leur complicité. Leur refus de s’exprimer est inquiétant, car c’est la crédibilité nationale et internationale du pays qui est en jeu.
Sehatra Fanaraha-maso ny Fiainam-pirenena
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Antananarivo, le 16 juillet 2010
Notes
[1] « Du bon usage de l’argent public » (5 mai, 14 mai et 11 juin 2004), dans SeFaFi, Une démocratie bien gérée, décentralisée et laïque, à quelles conditions ?, 2005, pages 4 à 25. « Du bon usage de l’argent public dans les collectivités territoriales » (10 août 2007) et « Détournements des deniers publics, entorses aux procédures budgétaires » (27 octobre 2007), dans SeFaFi, Elections et droits de l’homme : la démocratie au défi, 2008, p. 40-45 et 68-75. « Halte à l’impunité », communiqué du 19 février 2010.
[2] « Détournements de deniers publics, entorses aux procédures budgétaires » (27 octobre 2007, dans Elections et droits de l’homme : la démocratie au défi, SeFaFi, 2008, p. 68.
II - La fuite illicite des capitaux (Ã suivre)
Recueillis par Jeannot Ramambazafy