Vraiment, il faut croire que ce sont les êtres humains eux-mêmes qui ont inventé la Bêtise (humaine). Il pleut ? On râle. Il fait beau ? On râle. Il fallait faire ceci, il fallait faire cela. C’est comme un chroniqueur sportif avant le début d’un match. Il explique pourquoi tout le monde a des chances de gagner. Et à la fin du tournoi, pourquoi les uns ont perdu. Il fallait faire ceci, il fallait faire cela.
Ces gars-là étaient sûrement encore lycéens en décembre 2001. A droite, Ernest Razafindraibe, président national de la KMF/CNOE. Ou alors ils sont devenus amnésiques
La démarche de la Commission nationale pour l’observation des élections (KMF/CNOE) est, à peu de choses près, la même. Lors de la séance pour rendre public son rapport d’observation, après le référendum constitutionnel du 17 novembre dernier (23 novembre 2010 en son siège social de l’immeuble Santa Antanimena), les premières appréciations ont été reprises par tous les médias : « C’est la pire expérience que la KMF/CNOE a vécu en 20 ans d’observations des élections ».
A mon sens, c’est à la fois de l’amnésie et de la très mauvaise foi, de la part de tous ceux que je viens de citer. 20 ans d’observation, cela remonte donc aux années 1990. Les membres de la KMF/CNOE devraient alors lire l’ouvrage« Fraudes et manipulations électorale à Madagascar, cas de l'élection présidentielle du 16 décembre 2001 »sur lequel j’ai écrit l’article suivant, en décembre 2002, lorsque j’étais journaliste à Madagascar Tribune. Voilà l’intérêt des archives :
FRAUDES ET MANIPULATIONS ELECTORALES A MADAGASCAR
L'élection présidentielle du 16 décembre 2001
« A Antananarivo, le jour du scrutin, le poster géant du président candidat trônait sur toute une façade du bâtiment de la Solima en cours de privatisation. Le même jour, à sa sortie du bureau de vote, le même candidat, lors d'une interview, a fait la déclaration selon laquelle, s'il n'est pas réélu, il y aurait des troubles à Madagascar ».Extraits de la page 40 de ce livre, écrit en français et en malgache, présenté hier (9 décembre 2002) au CITE.
Dr Klaus-Peter Treydte
« Fraudes et manipulations électorale à Madagascar, cas de l'élection présidentielle du 16 décembre 2001 » n'est ni un livre d'histoire, ni un roman mais, selon le Dr Klaus-Peter Treydte (Fondation Friedrich Ebert ou FFE) : « un petit document d'histoire contemporaine de Madagascar, une documentation contre l'oubli politique. Car on oublie trop rapidement les promesses et les dérapages, mais c'est aussi un outil pédagogique. Il a été écrit en malgache pour une plus grande distribution et, en français, pour un auditoire international ». Préfacé par Norbert Lala Ratsirahonana, ancien président de la HCC, ce manuscrit, fruit d'un travail collectif compte 100 pages (couvertures comprises) décortiquant pratiquement tous les mécanismes qui ont abouti à la crise.
• Aimé Razafy (Décédé le 19 décembre 2009)
Fort de cinq chapitres et illustré par Aimé Razafy, cet ouvrage -sans photo donc- décrit tout ce qui s'est passé avant, pendant et après le 16 décembre 2001 : la période de confection de la liste et de la carte électorale ; la période pré-campagne électorale, la campagne électorale, le scrutin, l'après-scrutin. La force de ce « livre unique », dixit Jean-Jacques Rakotoarisoa, formateur appliqué en droits de l'homme, est qu'il couvre toutes les anomalies et irrégularités constatés à travers tout le pays. Que ce soit au niveau de la liste électorale qu'au niveau des bureaux de vote, des candidats et même de la HCC.
• Nausée...
Le fameux hôtel de Mantasoa qui a abrité les travaux des membres de la HCC à l'époque
« (...) on reproche le fait que, par une simple délibération portant le numéro 01-HCC/D.3 du 07 janvier 2002, la HCC a décidé de transférer provisoirement son siège dans un casino-hôtel à Mantasoa, hors d'Antananarivo, au motif que cela lui permettra de procéder à ses travaux en toute sérénité. Cet acte de transfert a été interprété comme une prise d'otage des membres de la HCC et, partant des résultats de l'élection du 16 décembre 2001. Les citoyens ont interprété l'abréviation HCC comme le sigle des mots : Hôtel-Chambres-Casino ! » (page 54). Mais y sont dressés également des tableaux (pages 51, 56, 57, 72) ainsi que des arrêts de la HCC... En fait, cet ouvrage repose sur des documents écrits qui ne sont pas l'œuvre de l'imagination des rédacteurs mais, au fil de la lecture, on sent une nausée monter en soi.
• Machiavélisme
Nicolas Machiavel
Car désormais, tout est découvert ! Les ignominies les plus abominables que puissent effectuer des hommes avides de pouvoir. Un témoignage authentique du non-respect des valeurs républicaines en matière d'élections. Un déficit flagrant par rapport à la fameuse promesse de « zéro erreur ». Mille milliards d'erreurs, oui ! Et des plus exécrables. Pour résumer le tout, nous vous conduisons à la page 19 : " (...) Chaque inauguration est faite en grande pompe et est suivie de festins aux convives innombrables ". Tout ceci rappelle une citation de Nicholas Machiavel : « Les hommes sont si simples et obéissent si bien aux nécessités présentes que celui qui trompe trouvera toujours quelqu'un qui se laissera tromper" (in "Le Prince") ».
• Intimidation courante...
Et, en conclusion, nous vous donnons la phrase finale de cet ouvrage qui donnera à réfléchir plus d'une fois : « Il n'y a rien de plus digne de respect et d'obéissance, rien de plus sacré que l'autorité du magistrat que s'est librement choisi un peuple grand et libre ; et s'il y a jamais un droit divin de gouverner sur terre et parmi les hommes, il réside sûrement dans le gouvernement issu de ce choix et de cette nomination ». Ainsi, cet ouvrage n'est pas une solution en soi. Pour Jean-Jacques Rakotoarisoa, « il doit servir à améliorer les prochaines élections. C'est un outil de travail pédagogique pour la mise en pratique des théories.... Car l'intimidation est courante à Madagascar et le code électoral et la loi organique ne sont pas appliqués ».
• Financements
Madeleine Ramaholimihaso
Les débats ayant suivi portèrent, alors, essentiellement sur le financement des partis.
Pour Marius Razafindrakoto : « Le financement doit être inclus dans le budget de l'Etat. Il faudrait mettre en place des commissions électorales dotées du pouvoir juridique... ».  Plus précise, Madeleine Ramaholimihaso, en tant que présidente d'honneur des experts comptables : « Il est temps de prévoir les textes que le Cnoe réclame depuis 1992 ». Prenant exemple sur ce qui se pratique en France, Mme Ramaholimihaso a parlé de plafonnement dont le dépassement constitue une infraction. En 1998, le cabinet Ramaholimihaso avait sorti la brochure BRIEF sur la problématique des financements des partis et des campagnes électorales. « Il faut revendiquer les textes à ce sujet ! Que la société civile l'exige ! ». Tempérant les passions, Lili Razafimbelo a déclaré : « Il faut d'abord définir ce que l'on entend par financements... ».
• 30.000 fmg
La page de couverture de l'ouvrage
En fait, il s'avère que ce n'est effectivement pas parce qu'il y a un texte qu'on va le respecter. Toutefois, on peut déjà sanctionner à partir de celui-ci. Tranchant sur le vif, Rasolo André déclara : « Il est plutôt grand temps de ramener les débats sur les idées et non sur l'argent ». Prenant la parole, Mme Haingomalala, candidate « Mavana » avoua : « Le déséquilibre financier dans cette campagne est flagrant... Est-ce qu'il n'y aura pas de fraudes cette fois-ci ? Comment les éviter ? ». Et Jean-Jacques Rakotoarisoa de conclure : « Pour une fois, le CNE a un pouvoir de saisine ». Effectivement, c'est déjà quelque chose... Pour en revenir à cet ouvrage où tout est vraiment découvert, il est vendu à 30.000 fmg dans toutes les librairies. La FFE, précieux partenaire financier, a fait appel à une maison d'édition spécialisée, en l'occurrence les éditions « Tsipika » (pluridisciplinaire) et « Jurid'ika » (spécialisée dans le domaine juridique. « Si l'ouvrage n'est pas gratuit, a déclaré le Dr Treydte, c'est pour valoriser le professionnalisme ».
Jeannot RAMAMBAZAFY
Madagascar Tribune, 10/12/2002
Certes, il s’agissait d’une élection présidentielle et non d’un référendum. Mais, en matière d’élection tout court, et après avoir lu cet ouvrage, les trois comiques que Madeleine Ramaholimihaso a délégué ce 23 novembre 2010, oseront-ils encore dire que cette consultation du 17 novembre 2010 était pire que celle de ce 16 décembre 2001 ? On leur a donné un micro et ils ignorent l’Histoire. Surtout qu’en décembre 2001, la KMF/CNOE était impuissante…
3è à partir de la gauche, Bruno Rakotoarisoa et ses pairs de la CENI malgache
Heureusement qu’après avoir préparé les journalistes pour leur « Une », leurs grands titres, ils ont quand même conclu que ce référendum avait toutefois pu se tenir dans un cadre et un environnement acceptables. Respect des droits des observateurs électoraux, bonne tenue des décomptes des voix, entre autres choses. Et ces représentants de la KMF/CNOE ont précisé même qu’un certain nombre de rectifications et mises au point devraient être apportées, dès à présent, afin de s’assurer du bon déroulement des élections futures. Et ils ont aussi avancé une excellente idée qui aurait du faire la « Une » (mais est-ce accrocheur et vendable ?) : « il serait plus judicieux de supprimer les cartes électorales qui minimisent l’importance de la carte d’identité nationale. Il faudrait former davantage les membres des bureaux de vote ». Enfin, pour ce qui est de la méthode de dresse les listes électorales, la KMF/CNOE a suggéré " qu’elle devrait être confiée aux centres informatiques de district (CID) qui, dès lors, travailleront en synergie avec les « fokontany  (bureaux de quartier), au lieu des centres informatiques régionaux ". Enfin, heureusement aussi que Bruno Rakotoarisoa, ancien Secrétaire général de la KMF/CNOE, a donné son avis qui suit le même que ce dossier, à la Tvm, ce 24 novembre, pour rectifier le tir. Mieux vaut tard que jamais.
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Encore une fois : la perfection n’est pas de ce monde mais toute chose est perfectible si on prend la peine de s’atteler à le faire, au lieu de passer le reste de sa vie à revendiquer un hypothétique retour vers le passé. Car pour certains, retour à l’ordre constitutionnel, par exemple, signifie retour de Marc Ravalomanana. Mais, en vérité, je vous l’affirme, il n’a jamais été élu au premier tour, lors de cette élection du 16 décembre 2001. Surtout avec toutes ces fraudes. Mais il a réussi à mystifier toute une population avec son "Premier tour dia vita !". Cela n’a duré que sept années. On connaît la suite. Enfin, un point sur les « i ». Ce n’est jamais moi qui ai raison mais l’Histoire me donne et me donnera toujours raison. De Philibert Tsiranana à Andry Rajoelina, j’ai la chance d’avoir vécu sur deux siècles. Et ce ne sont pas des échotiers qui étaient encore en couche culotte durant les dures étapes que le pays a traversé, qui changeront le cours de cette Histoire. Ils auront leur quart d’heure de gloriole maléfique -en racontant et en faisant des histoires- et après ils retomberont dans l’anonymat d’où ils ont été tirés grâce aux milliards d’un laitier self made man qui a eu les yeux plus grands que le ventre.
Comment finira Andry Rajoelina ? Je ne suis pas un devin mais j’espère qu’il retiendra toutes les leçons du passé et qu’il commencera déjà à bien s’entourer de personnes efficaces. Première leçon déjà  : une personne de confiance est loyale mais elle n’est pas forcément apte à régler certains problèmes précis dans le domaine où elle a été désignée. Alors, elle sera un problème de plus car n’apportant aucune solution. Voyez alors les dégâts si on parle de plusieurs personnes…
Jeannot Ramambazafy – 24 novembre 2010