Paris, mercredi 16 mai 2012. Les membres du premier gouvernement qui sera dirigé par Jean Marc Ayrault (Premier ministre), comprend 17 hommes et 17 femmes. Ce qui correspond à la notion de parité longtemps annoncée par le Président François Hollande.
Concernant le ministère des Affaires étrangères, le fameux Quay d'Orsay, il a été dévolu à Laurent Fabius, ancien Premier ministre de 1984 à 1986, qui n’est donc pas un inconnu dans les sphères politiques de Madagascar mais aussi des malgaches de Morondava. En effet, en juin 2011, M. Fabius était dans le Sud-Ouest malgache avec l’ambassadeur Jean Marc Chataigner (photo ci-dessus). Mais en tant que président de la communauté de l'agglomération Rouen-Elboeuf-Austreberthe et premier adjoint de Grand-Quevilly, deux collectivités locales françaises qui ont participé au financement des nouveaux locaux de l'Alliance Française de Morondava. Il ne peut donc pas, ne pas être au courant de la crise que traverse la Grande île de l’océan Indien… On verra plus tard, pour l’instant, voici la composition du nouveau gouvernement français, suivi d’une auto-présentation de Laurent Fabius :
Premier ministre : Jean-Marc Ayrault (ci-contre)
Ministre des Affaires étrangères : Laurent Fabius
Ministre de l'Education nationale : Vincent Peillon
Garde des Sceaux, ministre de la Justice : Christine Taubira
Ministre de l'Economie, des Finances et du Commerce extérieur : Pierre Moscovici
Ministre des Affaires sociales et de la Santé : Marisol Touraine
Ministre de l'Intérieur : Manuel Valls
Ministre de l'Egalité des territoires et du Logement : Cécile Duflot
Ministre de la Défense : Jean-Yves Le Drian
Ministre de l'Ecologie : Nicole Bricq
Ministre de la Culture et de la Communication : Aurélie Filippetti
Ministre de l'Agriculture : Stéphane Le Foll
Ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche : Geneviève Fioraso
Ministre du Redressement productif : Arnaud Montebourg
Ministre du Travail, de l'Emploi et du dialogue social : Michel Sapin
Ministre de la Réforme de l'Etat, décentralisation et de la fonction publique : Marylise Lebranchu
Ministre des Outremer : Victorin Lurel
Ministre délégué au Budget : Jérôme Cahuzac
Ministre des Sports : Valérie Fourneyron
Ministre des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement : Najat Vallaud-Belkacem
Ministre délégué chargé de la Ville : François Lamy
Ministre déléguée à la réussite éducative : George Pau-Langevin
Ministre déléguée auprès de la Garde des Sceaux : Delphine Batho
Ministre délégué chargé de l'Economie sociale et solidaire : Benoît Hamon
Ministre délégué chargé des Affaires européennes : Bernard Cazeneuve
Ministre délégué chargé des Anciens combattants : Kader Arif
Ministre déléguée des Français de l'étranger : Yamina Benguigui
Ministre déléguée chargée des PME, de l'innovation et de l'économie numérique : Fleur Pellerin
Ministre déléguée chargée de la Famille : Dominique Bertinotti
Ministre déléguée aux personnes handicapées : Marie-Arlette Carlotti
Ministre délégué chargé du développement : Pascal Canfin
Ministre délégué chargé des Transports : Frédéric Cuvillier
Ministre déléguée à l'artisanat : Sylvia Pinel
Ministre délégué aux relations avec le Parlement : Alain Vidalies
Ministre déléguée aux Personnes âgées et dépendance : Michèle Delaunay
Recueillis par Jeannot RAMAMBAZAFY
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Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères nouvellement nommé, par lui-même :
Je suis né le 20 août 1946 à Paris. C’était après la fête joyeuse de la Libération et avant les déchirements de la guerre froide. C’était l’orée des Trente Glorieuses.
J’ai grandi dans le quartier calme - au double sens de très tranquille et d’un peu ennuyeux - du Trocadéro. Dans le cercle familial, régnaient une extraordinaire liberté, une curiosité un peu bohème pour le monde et les êtres, ainsi qu’une forme de retenue. Sans doute cette pudeur était-elle liée aux souffrances de la guerre. J’ai hérité de cette sensibilité, de cette réserve, qui font que chez moi les roses poussent souvent à l’intérieur. Mon enfance et mon adolescence ont été rythmées par deux activités : les études et l’équitation. Quand les unes commencèrent à m’accaparer après le bac, ce fut au détriment de l’autre, sport-passion auquel j’ai dû renoncer.
Après mon baccalauréat de philosophie, ma passion pour la littérature, celle du 19ème siècle notamment, Dostoïevski, Baudelaire, mais aussi les fulgurances de Proust, Nathalie Sarraute et Julien Gracq m’a conduit à m’inscrire en hypokhâgne au lycée Louis le Grand. De la « prépa », je garde le souvenir d’une atmosphère d’intense stimulation intellectuelle, souvent austère, parfois fantasque, toujours exaltante. Trois ans durant, mon temps fut absorbé par le travail et la lecture. Ce n’est qu’une fois rue d’Ulm que j’ai pu trouver une liberté totale. Normale Sup nous offrait le gîte, le couvert et sa bibliothèque. Sa seule contrainte était de passer l’agrégation, ce que je fis, en lettres. Quant au Quartier latin, il avait d’abord pour moi le visage des films de la Nouvelle Vague et des actrices du cinéma italien, alors à son apogée : dans les salles d’art et d’essai, je pouvais enchaîner deux ou trois séances à la suite.
Durant ces années, au fil des rencontres et de la fréquentation des grands professeurs, j’ai commencé à me forger une certaine vision de l’homme, de son aspiration à la liberté et à l’égalité. L’humanisme qui m’a accompagné toute ma vie, qui m’anime aujourd’hui, je le dois à l’école de la République, à ses maîtres, à ceux qui furent mes camarades. Je leur serai toujours reconnaissant pour ce qu’ils m’ont appris. C’est parce qu’il faut la consolider que l’éducation doit être, à mes yeux, le premier sujet, le premier projet et le premier budget d’une politique de gauche.
Ma vision du monde, fondée sur la lutte contre les injustices, fut sociale avant d’être socialiste, intellectuelle et charnelle avant d’être politique et militante. C’est à l’Institut d’études politiques de Paris, « Sciences-Po », où j’effectuais parallèlement mon cursus, que j’ai commencé à m’intéresser véritablement à l’action publique. A l’époque, je devins membre d’un groupe de réflexion, la Conférence Olivaint, qui réunissait chaque semaine une centaine de jeunes afin de dialoguer avec des personnalités. Plusieurs de nos conférenciers nous exposaient leurs convictions, leur quotidien et le concret de l’action. C’est là que je me suis lié d’amitié avec plusieurs jeunes membres de la Conférence que j’ai retrouvés par la suite : Jérôme Clément, Christian Blanckaert, Etienne Pfimlin, mais aussi Jacques Attali, qui, toujours en avance d’une idée, conseillait déjà François Mitterrand. Dans ce contexte, à mi chemin entre théorie et pratique, nous avons vécu le joli mois de mai 1968. De gauche, je l’étais, par sentiment, par intuition, par indignation avant que cela me devienne une réflexion, puis une action et le choix de toute une vie.
Lorsque je suis sorti de l’ENA en 1973, j’ai rejoint le Conseil d’État. J’y ai appris comment aborder un dossier en gardant toujours à l’esprit qu’il faut servir l’intérêt général, le respect absolu des principes et des lois de notre République. J’y ai aussi appris l’art de la concertation et du dialogue, la nécessité de convaincre et la décision collégiale.
C’est à ce moment que j’ai commencé à donner une véritable chair à mon engagement, que j’ai commencé à faire de la politique. Pour servir mon pays, lutter contre les inégalités, transformer la société, j’ai rejoint le Parti socialiste en 1974. Il représentait la seule alternative politique crédible face à la droite. Trente ans ont passé et c’est toujours le cas, même si les outils doivent évidemment évoluer. Enfant de l’après-guerre, j’appartenais à cette génération qui avait surtout connu le gaullisme finissant, puis le pompidolisme et le giscardisme et ce qu’ils signifiaient alors pour la jeunesse : le conservatisme, la peur du changement, l’opposition entre les Français. A la même époque, je publiai mon premier livre, La France inégale. J’essayais d’y montrer que les inégalités en France étaient multiples et profondes et qu’elles se cumulaient. C’est alors que j’ai rencontré François Mitterrand, dont je suis devenu l’un des conseillers, mi-boîte à idées, mi-plume, « directeur de cabinet d’un cabinet qui n’existait pas », selon ses propres mots.
François Mitterrand était alors le leader de l’opposition, celui qui avait approché le succès de si près en 1974, avivant l’espérance de tous ceux qui voulaient changer la vie, le reconstructeur pugnace et patient du socialisme français, le bâtisseur tranquille et visionnaire de la gauche. A ses côtés, dans ces années d’apprentissage, j’ai appris la rédaction des discours, l’organisation des déplacements, l’articulation entre la politique et l’administration et surtout la conversion des idées en propositions, des propositions en actions et l’art du temps. J’ai été élu en 1977 pour la première fois à Grand-Quevilly comme premier adjoint au maire, puis député de Seine Maritime un an plus tard. C’est une circonscription ouvrière et populaire. C’est une ville que j’aime. Ma grande fierté est d’y agir depuis au service des habitants et d’y être réélu sans discontinuer depuis lors. Logement, action sociale, éducation, vie associative, appui aux jeunes et prise en compte des personnes âgées, voilà le quotidien dont je m’occupe avec plaisir et passion depuis plus de 25 ans. La Normandie est ma terre d’enracinement, d’élection et d’affection.
L’arrivée au pouvoir de Mitterrand a marqué une rupture dans notre vie démocratique : l’espérance pour la gauche, l’alternance pour le pays. L’opinion et surtout les partis de droite ignoraient comment les leaders de gauche, devenus les dirigeants du pays, allaient gouverner - s’ils sauraient seulement. Très vite, vieux briscards et jeunes pousses de l’union de la gauche, nous avons été confrontés aux réalités du pouvoir et, en dépit des difficultés, des erreurs d’analyse parfois, nous avons démenti la malédiction qui veut que la gauche arrive au pouvoir par accident et en reparte rapidement. L’abolition de la peine de mort, les 39 heures, la cinquième semaine de congés payés, la revalorisation des salaires, le renforcement des droits des salariés, la décentralisation, l’engagement en faveur du Tiers Monde et de l’Europe - les conquêtes furent nombreuses et appartiennent désormais au patrimoine de la France.
Cette période a correspondu à une accélération manifeste de ma vie. En 1981, j’ai accédé aux responsabilités gouvernementales pour la première fois comme ministre du Budget dans le gouvernement de Pierre Mauroy, chaleureux, conscient de la responsabilité historique qui était la nôtre, et la sienne comme Premier ministre. Dans l’administration française, le budget est au cœur de tout. Le changement politique passait par là . Il fallait donc oser la réforme. Le ministre du budget est l’homme des impôts. Je n’échappai pas à la règle. J’engageai alors certaines réformes fiscales mettant en cause des privilèges, dont l’impôt sur les grandes fortunes ou la levée de l’anonymat sur les transactions sur l’or pour lutter contre la fraude fiscale. Il va sans dire que tout cela suscita la réaction, dans les deux sens du terme. Quand on est de gauche, réformer implique souvent de bousculer les privilèges. En 1983, je devins ministre de l’Industrie et de la Recherche. Cette fonction m’a passionné. Dans ce ministère, j’ai mesuré la nécessité difficile de moderniser le pays, l’importance vitale de l’innovation, de la création, pour le rayonnement de la France, le développement de ses savoir-faire, sa compétitivité. Nous avons lancé de nombreux et nouveaux projets de recherche en assurant la synthèse entre sécurité et dynamisme. Depuis, mon intérêt pour la science, la curiosité pour les nouvelles technologies, le goût pour l’entreprise, ne m’a pas quitté.
J’ai été Premier ministre de 1984 à 1986, à l’âge, comme on l’a souvent dit, où beaucoup commencent leur carrière politique. Cette « précocité » s’explique par un contexte politique relativement inédit. Le Président Mitterrand estimait qu’il fallait à la France un chef de gouvernement jeune, capable de mener les réformes, et en qui il eût toute confiance. Limiter la casse aux élections législatives prévues deux ans plus tard était mentionné dans un codicille tacite à ma feuille de route. J’ai accompli ma mission avec pour objectif de moderniser et de rassembler. J’ai exposé les fondements de mon action dans Le Cœur du futur. Il me semblait, et il me semble toujours, que la France doit retrouver confiance en elle, croire en son destin, tout en ayant le courage de s’adapter au monde pour y jouer sa carte, qui est grande.
Les élections de 1986 placèrent de justesse la droite en tête. Son programme idéologiquement très marqué la desservit. Les conservateurs, emmenés par Jacques Chirac, commettent beaucoup d’erreurs, notamment celle de confondre gouvernement et présidence. La droite en paya le prix lors des élections présidentielles de 1988. François Mitterrand fut réélu nettement.
Au lendemain des élections législatives de 1988, j’ai été président de l’Assemblée nationale jusqu’en 1992, fonction que j’ai de nouveau occupée entre 1997 et 2000. L’Hôtel de Lassay, où se trouve la présidence, est un poste d’observation de la vie démocratique sans pareil. J’y ai conforté une conviction déjà acquise lorsque j’étais entré au Palais Bourbon : rééquilibrer le pouvoir législatif par rapport à l’exécutif est indispensable à la vie démocratique. Le Parlement doit jouer son rôle d’élaboration des lois, bien sûr, mais aussi être un pôle de contrôle et d’initiative. C’est pourquoi j’ai décidé alors de créer, notamment, la Mission d’Evaluation et de Contrôle, destinée à évaluer et contrôler l’exécution des budgets élaborés par le gouvernement. Je suis heureux d’avoir pu, comme ministre de l’Economie et des Finances, transformer l’essai en construisant avec le Parlement et en faisant voter la réforme de l’ordonnance organique de 1959 qui a réformé en profondeur notre constitution financière et accru le pouvoir de contrôle de l’Assemblée nationale et du Sénat, c’est-à -dire des représentants du peuple. Ce n’est qu’un début. Pour reformer l’Etat, beaucoup d’avancées restent à accomplir - et à conquérir. Notre République aurait beaucoup à y gagner.
De 1989 à 1992, j’ai été député européen. J’ai toujours eu la conviction que l’Europe doit être l’horizon de notre action. La démocratie européenne doit être approfondie et rénovée. J’ai été ensuite président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale en 1995, jusqu’en 1997. C’est un rôle de combat lorsque l’on est dans l’opposition. C’est un rôle important dans la vie démocratique. Il faut à la fois critiquer et construire, mobiliser les troupes, surtout quand une même formation détient tous les pouvoirs. L’opposition parlementaire peut jouer un rôle majeur dans la vie de nos institutions. En 1997, après la dissolution de l’Assemblée par le Président, la gauche est revenue au pouvoir et j’ai pu reprendre la présidence de l’Assemblée. En 2000, je suis devenu ministre de l’Économie et des Finances dans le gouvernement de Lionel Jospin. Comme ministre, je me suis efforcé de concilier efficacité économique et justice sociale, avec la conviction que pour être généreuse la société doit être dynamique.
Durant les années 1980, j’avais été, avec d’autres, l’un de ces trentenaires à qui le Président donnait sa confiance et la mission de changer la société. J’y ai appris très tôt le goût du travail en équipe, la décision et le poids des responsabilités, les blessures du pouvoir. J’ai appris aussi à conserver mon idéal mais peut être à moins idéaliser la politique tout en gardant foi dans l’action publique. En 1995 je suis revenu sur ce parcours et ce qu’il m’a appris dans Les Blessures de la vérité.
Depuis 2002, je suis à nouveau député de Seine Maritime. Jusqu’en 2005, j’ai été également « numéro 2 » du Parti socialiste, en charge des « élus et des territoires », domaine essentiel pour l’homme de terrain que je suis devenu. J’ai tenu à m’occuper des élus, car je considère qu’ils sont le cœur battant de notre social-démocratie. Après les élections de 2004, j’ai eu la joie de voir le nombre de mes ressortissants augmenter fortement ! Il faut espérer que ce printemps de la gauche en annonce d’autres. Comme les élections municipales de 1977, au début de mon engagement, ont rendu possible le 10 mai 1981.
Aujourd’hui, j’ai une certitude : c’est à la gauche de faire renaître l’espoir. La droite gouverne depuis 2002 et elle a montré son incapacité à remettre la France en marche. Les Français réclament à la fois plus de progrès et de protection. Si nous voulons être à la hauteur de cette tâche, nous devons nous fixer un objectif prioritaire : répondre à la désespérance de la France qui souffre. Cela réclame un PS volontariste, un PS au cœur de la gauche.
C’est le sens de mon engagement aujourd’hui. En prenant, comme tous les socialistes, une part active à la réflexion sur le projet. Et aussi, en me prononçant pour une Europe conforme à nos espérances et à nos exigences : une Europe plus sociale et plus puissante, qui puisse réellement peser dans la mondialisation.
Laurent FABIUS