Nadine Ramaroson, inoubliable Ministre de la Population et des Affaires sociales de Madagascar
A mesure que le temps passe, la version de la mort accidentelle de notre Nadine Ramaroson, héroïne nationale dans la lutte contre toutes les injustices sociales, vole de plus en plus en éclat. En attendant, les révélations (enfin !) de la famille Ramaroson -qui doit avoir la trempe de tout déballer sans espérer quoi que ce soit de la suite de l’enquête, au lieu de tergiverser à la anière des "ampamoaka" du Pr Zafy Albert-, lisez bien tout ce qui suit.
Vous avez été nombreux(ses) à avoir réagi et surtout à demander des éclaircissements sur cette énième affaire foncière opposant des paysans à une société privée étrangère. Je vous livre ci-après et dans les détails le déroulement des faits qui inclut l’arrestation humiliante, dégradante et discréditant de 3 membres de mon cabinet le 04 août 2011.
Les motifs évoqués :
- les membres du cabinet seraient entrés en effraction dans un domaine titré et borné
- ils auraient distribué des terres au « FOKONOLONA »
- ils auraient clôturé les terres en question et  planté des drapeaux dessus
- ils auraient incité le Fokonolona à la rébellion
- ils auraient forcé un barrage des gendarmes et auraient pris la fuite
- ils auraient été interceptés à Ambatomirahavavy.
Ces informations ont été transmises par le Général RAVALOMANANA Richard par téléphone, le Jeudi, dans la soirée en réponse de ma demande d’explication.
Le vendredi 05 Août, j’ai demandé au Général RAVALOMANANA de recevoir mon Directeur de Cabinet, le Colonel RALAIVAO Pierre Louis Charles, signataire de l’ordre de mission, et Monsieur RAKOTONIRINA Angelo, Inspecteur du Cabinet, dans le bureau du Général RAVALOMANANA avec le chauffeur de la voiture 4X4 qui a emmené les missionnaires (les 3 membres de mon cabinet) sur place et un représentant du Fokonolona. Objet de cette visite : la confirmation que ces membres du cabinet étaient bel et bien porteurs d’un ordre de mission pour constater sur terrain les doléances présentées par des représentants du Fokonolona qui étaient venus au Ministère. Ces représentants du Fokonolona étaient venus pendant trois mois, solliciter notre Ministère pour leur venir en aide.
Le lundi 08 Août 2011, avec tout le STAFF du Ministère, nous nous sommes rendus sur les lieux aux fins de recoupement des accusations portées à ces membres du Cabinet en présence des Autorités Locales (Adjoint Chef District, Maire, Chef Fokontany ) et accompagnés de journalistes. Il s’est avéré que les membres du Cabinet ne sont ni entrés en infraction dans le domaine en question, n’ont distribué de lopins de terres, ni clôturé des terrains ou planté des drapeaux. Ils sont venus écouter le Fokonolona, et ont demandé à s’entretenir avec les responsables de la Société exploitante dénommée « BIONEXX » en présence de quatre gendarmes qui assuraient la sécurité de ladite société.
Selon les témoignages que nous avons recueillis sur place, aucune des accusations n’est fondée. Ils n’ont forcé aucun barrage mais ont dû contourner la route suite au fait qu’un tracteur de ladite société a été mis en travers de leur chemin. Ils ont dûment informé les quatre gendarmes qu’ils allaient déjeuner au village où ils ont été appréhendés par des éléments de la gendarmerie, et emmenés dans l’un des deux véhicules 4X4 de la société BIONEXX et suivi en renfort par deux camions entiers de gendarmes.
Nos membres du cabinet ont été brutalisés et poussés de force dans un des 4X4 de la société « BIONEXX » immatriculé 6866 TAH.
Il n’y a eu à aucun moment aucune incitation à la désobéissance civile ou à la rébellion. Le seul fait qui a été rapporté par les quatre gendarmes est que, la veille, le Fokonolona s’est couché devant le tracteur pour empêcher la destruction de leurs cultures.
Nous avons écouté les récits des représentants du Fokonolona à savoir l’historique du terrain et les raisons de leurs doléances, ce à quoi ils ont répondu qu’ils ont eu à faire à plusieurs sociétés :
1965Â : CENTRE NATIONALE AVICOLE
1973 : FERME D’ETAT
1983Â : LIMA HOLDING
1989Â : MAGRI
1991Â : PICORÂ puis GENIA
2008Â : SOPRAMAD
2010Â : BIONEXX
Durant quarante ans, ils avaient exploité les terres en toute quiétude et même après la convention obtenue par LIMA HOLDING avec l’Etat. L’arrivée de la société BIONEXX en 2009 aurait tout remis en cause : cette société leur aurait demandé soit de quitter les terres soit de les louer à la société pour Ar 400,000 HTVA/Ha/An. Une poignée de paysans de la commune voisine aurait accepté de payer ce loyer mais tout le Fokonolona des Fokontany Fenomanana et Antanimarina ont refusé aux motifs qu’ils ne vont pas louer leur propre terre qu’ils ont mise en valeur depuis quarante ans et pour faute de moyens. Faut-il encore préciser que ceux qui ont accepté de payer seraient des employés de BIONEXX. Il est également à noter qu’on parle d’une prétendue décision d’expulsion alors que le Fokonolona n’a jamais été convoqué au Tribunal dans ce sens.
Ce Fokonolona a instamment prié le Ministère de la Population et des Affaires sociales de se pencher sur son cas depuis trois mois mais c’est la démolition de leurs habitations et de leurs tombeaux ancestraux qui a amené le Ministère à dépêcher une mission d’urgence sur place.
Nadine Ramaroson
Ministre de la Population et des Affaires sociales
Vendredi 12 août 2011
14 jours plus tard, le 28 août 2011, Nadine Ramaroson meurt dans un « accident » de vedette rapide qui rejoignait l’île Sainte-Marie à Soanierana Ivongo.
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Bionexx-Madagascar : EXPULSION DE MILLIERS DE FAMILLES DES TERRES
QU’ELLES ONT MISES EN VALEUR PENDANT DES DECENNIES
Début août 2012 (lire donc ci-dessus), un conflit foncier qui avait déjà défrayé la chronique au mois d’août de l’année dernière, a repris sur le domaine Faharetana dans le district d’Arivonimamo région Itasy (centre de Madagascar), exploité par la société Bionexx pour la culture d’artemisia annua destinée à l’industrie pharmaceutique européenne. Sans avoir présenté d’avis d’expulsion, les forces de l’ordre ont expulsé 6 000 familles de leurs terrains de cultures de 200 ha que Bionexx tenait à récupérer pour étendre ses plantations sur les 658 ha loués par LAICO.
Face aux méthodes musclées des forces de l’ordre - gendarmes et EMMO-REG - les paysans se sont défendus, 15 d’entre eux ont été interpellés et 5 mis sous mandat de dépôt, incarcérés à la prison d’Arivonimamo pour « violence et voie de fait ». Le procès a déjà eu lieu, avec une rapidité inouïe compte tenu de la lenteur habituelle des tribunaux à Madagascar : 3 ont été acquittés, 12 condamnés à 6 mois avec sursis, les 5 villageois ont été libérés après 17 jours d’incarcération.
Les familles ont été expulsées des terres où elles cultivaient du riz et du manioc depuis plus de 30 ans.
Les parties en présence :
L’entreprise agricole Faharetana s’étend sur trois communes. Selon le Chef de la Région Itasy, le premier titre foncier sur le domaine remonte au 25 août 1904 au nom de Pochard. Plusieurs propriétaires se sont succédé ensuite et en 1983, l’Etat malgache a effectué une « réquisition » de ces terres pour les apporter en dotation au capital de la société mixte Libyo-Malgache – LIMA Holding dans laquelle il détenait 51% et la Lybian Arab African Investment Company 49%.  Un article de presse du 7 juillet 2009 sur LAAICO signale par ailleurs que « Le fonds a récemment acquis 8 000 m2 de terrains à Madagascar pour établir un important complexe».
Bionexx qui développe ses plantations dans plusieurs régions de Madagascar et loue les terrains de LAICO dans cette zone depuis 2010 est une société de droit malgache créée en 2005 financée par une banque malgache avec l'appui du service de garantie des crédits ARIZ de l’Agence Française de Développement,  AFD (photo ci-dessus). A un moment, le PNUD était partenaire. Le fonds mauricien MCB Equity fund  vient d’y prendre une participation minoritaire.
Une information plus transparente sur les partenaires malgaches actuels du fonds libyen dans LAICO s’impose ainsi qu’une identification claire des structures ou des personnes qui ont commandité les expulsions.
Les paysans ont été expulsés des terres où leurs ancêtres avaient vécu avant l’immatriculation par les colons.
Les plaintes et revendications des paysans :
Les villageois nous ont indiqué que les propriétaires des titres fonciers qui se sont succédé sur ces espaces ont toujours laissé les paysans cultiver ces terres. Tout aurait changé depuis l’arrivée de Bionexx. Cette société s’est  armée de gros bras et entretient en permanence des « gardes » aux abords de l’exploitation, provoquant des sentiments allant de la terreur à la colère.
Les paysans ont parlé des affrontements de 2011 où deux des leurs avaient déjà été enfermés « au violon » pendant deux jours ; leur procès en appel aura lieu le 2 octobre prochain. Ils déplorent que leur plainte déposée au tribunal en 2010 pour la destruction de cultures mais aussi de tombeaux soit classée sans suite. La revendication forte qu’ils expriment aujourd’hui est de continuer à cultiver pour eux-mêmes les terres fertiles qu’ils ont mises en valeur pendant des décennies.
Ce qu’en pense le Collectif pour la défense des terres malgaches TANY :
Cette revendication des paysans est légitime. Que vont devenir ces familles d’agriculteurs qui ont gagné leur vie correctement à la sueur de leur front pendant des décennies et qui n'ont plus de terres à cultiver pour se nourrir ? Il revient aux différents responsables et structures impliqués dans ce conflit de trouver une solution rétablissant les droits des villageois.
La législation malgache prévoit la possibilité pour les familles malgaches qui ont mis en valeur des terres depuis 20 ans de faire rétablir leurs droits et de revendiquer leur propriété. Mais pour des raisons diverses souvent liées aux intérêts des plus forts, très rares sont les démarches entreprises par les paysans qui aboutissent en leur faveur.
Cette situation précaire des Malgaches sur les terres de leurs ancêtres et de leurs descendances concerne actuellement d’innombrables familles dans plusieurs autres localités de Madagascar. Il faut donc que des études sérieuses et des propositions de lois préservant l’intérêt des populations fassent l’objet de concertation le plus tôt possible et soient soumises au prochain Parlement élu.
Un comité interministériel mis en place en décembre 2011 pour résoudre les conflits fonciers à Madagascar n’a pas informé le public du déroulement de ses travaux. Ce comité s’est-il prononcé pour une suspension des expulsions de terrains, des démolitions d’habitations et du scellage des biens, sous réserve de charger un conseil restreint de gérer les modalités de mise en œuvre des mesures d’expulsion ? Cette proposition est complètement insatisfaisante et inacceptable.
Dans tous les cas, l’envoi de forces de l’ordre et les expulsions des populations ne devraient pas être les solutions adoptées dans les litiges fonciers en raison du respect des droits humains fondamentaux et des principes de responsabilité sociale des entreprises.
11 septembre 2012
Le Collectif pour la DĂ©fense des Terres Malgaches