Il n'est jamais trop tard pour bien faire, dit un adage. Cela vaut pour le SeFaFi qui a attendu six mois pour se rendre compte de l'ampleur des dégâts d'un nouveau régime incompétent qui, au lieu de redresser la barre, s'enfonce de jour en jour dans des pratiques qui ne devraient plus exister avec la naissance de la IVè république de Madagascar.
Heureusement que les racines de cette dangereuse dégringolade sont consignées, pour la postérité, dans mon livre "Hery Rajaonarimampianina: les 100 jours d'un homme de pouvoirs". Tout se qui se passe, actuellement, dans la Grande île de l'océan Indien, était prévisible. Et pire encore...
Le SeFaFi ne fait que confirmer ce que la large majorité des 22 millions de Malgaches pense, après seulement trois mois de régime rajaonarimampien... Il était temps car je désespérais un peu d'être tout seul à prêcher dans un désert de sourds, aveugles et muets... Merci SeFaFi car ce communiqué est un très large résumé de mon livre ! D'autres détails et photos en moins.
Jeannot Ramambazafy - 18 juillet 2014
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LES ATTENTES DÉÇUES DE LA IV° RÉPUBLIQUE
Après avoir salué l’élection du premier président de la IV° République (1), le SeFaFi ne s’est plus exprimé pendant près de six mois. Pendant ce temps, deux de ses membres ont été appelés à des fonctions dont la teneur politique est incompatible avec l’appartenance au SeFaFi : Rakotoarisoa Jean-Eric comme membre de la Haute Cour Constitutionnelle, et Horace Gatien comme ministre de l'Emploi, de l'Enseignement technique et de la Formation professionnelle. En se séparant d’eux, le SeFaFi leur a souhaité plein succès dans l’accomplissement de leurs responsabilités. Pour autant, il n’en garde pas moins toute la liberté nécessaire à sa tâche d’observation de la vie publique, n’étant ni à la remorque du pouvoir ni à la solde de l’opposition. Ancré dans la société civile, le SeFaFi a pour seule ambition de tenir un rôle citoyen indispensable au bon fonctionnement de l’État : dénoncer les dérives et les abus, souligner les lacunes et les contradictions, proposer des solutions alternatives. Cette approche critique, qui indispose nécessairement les opportunistes et les profiteurs, n’en constitue pas moins l’une des conditions de la démocratie, au même titre que la liberté de la presse.
La prestation de serment du président Rajaonarimampianina Hery, le 25 janvier 2014, avait ranimé les espoirs d’une population impatiente de voir la classe politique revenir à des pratiques plus saines. « 2013 s’est terminé sur un magnifique espoir pour l’ensemble du peuple malgache : une élection démocratique a mis fin à un cycle de crise, avec le soutien de l’ensemble de la Communauté internationale. Cette unité, aux premières lueurs de 2014, est un bon présage pour notre Nation. Cette année sera celle de notre renouveau collectif, sous l’emblème de la Force nouvelle qui vient de s’insuffler à Madagascar », proclamait le Président de la République dans son discours d’investiture.
Plus circonspect, le SeFaFi avait mis en garde contre le retour des pratiques du passé, en rappelant aux candidats à la députation les conditions d’un vrai renouveau : « pour restaurer la confiance et montrer que le changement est réel, les nouveaux députés doivent assumer pleinement leurs obligations » (2). Six mois plus tard, l’opinion reste quelque peu dubitative, alors que le régime tarde à donner corps au changement promis. La compromission et la corruption s’étalent, les rivalités et les divisions s’affichent, l’incompétence des élus et leur indifférence à l’intérêt général sont de notoriété publique. Les citoyens sont à nouveau devenus les otages des magouilles politiciennes. Et si l’on parle toujours de réconciliation, ce n’est plus qu’une incantation vide de tout contenu et de toute implication concrète. Comment en sommes-nous arrivés là ?
(1)« Après les élections, mise en place des institutions et réconciliation », 11 février 2014.
(2)Idem.
Une Assemblée nationale incompétente et vénale
A l’issue des élections présidentielles et législatives, les choses semblaient claires. L’Assemblée nationale disposait d’une majorité de 76 voix, composée de 49 députés du groupe MAPAR (pro-Rajoelina) et d’un Groupe Parlementaire Spécial de 27 députés indépendants (dont l’identité est restée confidentielle). Sans vergogne, cette majorité s’est aussitôt approprié tous les postes, de la présidence de l’Assemblée à l’ensemble des commissions parlementaires. Il lui restait à présenter son candidat au poste de Premier ministre, pour nomination par le président de la République, conformément à l’article 54 de la Constitution. Apparut alors une PMP (Plate-forme pour la Majorité Présidentielle), groupe hétéroclite de 95 députés issus de partis qui avaient voté soit contre le Président élu soit pour lui, et d’indépendants (tous sans identité déclarée). Avec ces deux majorités présidentielles cumulées, l’Assemblée était censée compter 171 députés, alors que les électeurs n’en avaient élu que 147 – 4 élections étant à refaire. Et bien sûr, la PMP démet aussitôt la présidente et le bureau à peine installés, pour en élire de nouveaux, tout dévoués à sa cause. Bref, en reniant sa majorité électorale (MAPAR), en s’évertuant à créer de toute pièce une nouvelle majorité (PMP), en relevant la gageure de constituer un groupe parlementaire HVM fort de 30 membres alors qu’il n’a qu’un député élu, le pouvoir se trouve, aujourd’hui, à la merci de groupes de députés qui soufflent le chaud et le froid, et agissent en fonction de leurs intérêts. Deux motions de censure déjouées à temps, des revendications d’avantages exorbitants, des parlementaires qui se vendent au plus offrant, tel a été le bilan de la première session de l’Assemblée nationale. Car les députés ne sont pas chargés de mener des actions sociales dans leur circonscription (ce pourquoi ils demandent que leur salaire soit majoré) mais de voter les lois de la République et de contrôler l’exécutif.
Ayant péniblement adopté 8 projets de loi pendant sa première session, elle a ignoré deux problèmes aussi essentiels qu’urgents : la loi de finances rectificative
et les dispositions qui devront régir les élections communales prévues se tenir cette année. Reporter ces élections à l’année prochaine serait un déni de droit, le mandat des élus municipaux ayant expiré depuis deux ans, et une marque de défiance à l’égard des citoyens. Par contre, un temps considérable a été consacré à la redéfinition des avantages des députés : salaires, indemnités diverses, tickets de carburant, crédits téléphoniques, voitures 4x4, passeport diplomatique, etc. Ces caprices obligent à tenir de nouvelles sessions extraordinaires, ruineuses pour le budget de l’État mais financièrement rentables pour les députés. A l’évidence, ceux-ci ne sont intéressés que par leurs avantages personnels, et ignorent tout de leurs responsabilités de législateurs au service du bien commun de la nation.
Dans cette sombre pagaille, comment s’y retrouver ? Quel député aura le courage d’informer ses électeurs du choix qu’il a fait en leur nom ? Quel responsable politique osera exiger des groupes concernés qu’ils publient la liste des membres de leur prétendue majorité ? Il y va pourtant du plus élémentaire devoir de redevabilité, auquel tout élu est tenu vis-à -vis de son électorat. Plus grave, ces agissements témoignent de la méconnaissance d’un élément fondamental de la démocratie : la continuité de l’État, qui veut que tout pouvoir est engagé par les actions de ceux qui l’ont précédé. D’où vient alors cette rage de renier tout ce qui a été fait, pour tout refaire en partant de zéro ? Il existait un règlement de l’Assemblée nationale : pourquoi le changer à nouveau ? Il existait un nombre stable de commissions parlementaires : pourquoi les multiplier, pour en faire des doubles des ministères ? Ces jeux puérils témoignent du manque de maturité politique de nos prétendus représentants du peuple. On les retrouve, hélas, dans tous les domaines de la vie publique, qu’il s’agisse du redécoupage des ministères ou de la valse des techniciens de l’administration.
Un gouvernement qui parle beaucoup, mais agit peu
Les premiers pas de l’administration Rajaonarimampianina se caractérisent par la lenteur dans la prise de décision. La Constitution n’ayant fixé aucun délai pour la nomination du Premier ministre, celle-ci n’a eu lieu que deux mois après l’investiture du président de la République. De même, les ministres ont mis plus de deux mois pour constituer leur staff. Pourtant, le pouvoir semble se complaire dans l’autosatisfaction, donnant l’impression d’occulter le quotidien de la population et les vrais problèmes du pays. Jusqu’ici, les 9 conseils des ministres (18 avril, 2 mai, 9 mai, 14 mai, 21 mai, 28 mai, 4 juin, 19 juin, 24 juin) qui se sont tenus depuis la formation du gouvernement Kolo Roger, ont été consacrés en grande partie aux nominations aux hauts emplois de l’État. Mise à part l’allocation de 10.000 postes budgétaires au ministère de l’Éducation nationale pour l’année 2014, aucune des décisions prises n’a d’impact direct sur le sort des 22 millions de Malgaches qui est, pourtant, sa seule priorité. Rien n’est fait pour rassurer, rien n’est fait pour entretenir l’espoir d’un véritable renouveau, tout se ramène à des effets d’annonce. À grand renfort de communication et de discours électoralistes, alors que l’heure n’est plus à la chasse aux voix, on tente de faire croire aux Malgaches que l’on agit. Relevons quelques exemples significatifs.
Affaire bois de rose
Tout au début de son mandat, le président de la République a affirmé qu’il ferait une affaire personnelle de la lutte contre le trafic de bois de rose. Il a martelé qu’il ne tolèrerait plus aucun laxisme et qu’il n’hésiterait pas à sévir. Le 3 juin dernier, lors du lancement du dialogue national sur la Croissance verte, il a proclamé haut et fort : « Nous traquerons sans relâche ces trafiquants, partout où ils se trouveront ». Au long de ces six derniers mois pourtant, le trafic de ce bois précieux a repris de plus belle. De mai à juin, 34 containeurs de 640 tonnes de bois de rose ont été interceptés au port de Mombassa, Kenya, 28 containeurs de 420 tonnes au port de Colombo, Sri Lanka, et 3.000 tonnes à Singapour. Apparemment, nul ne s’empresse d’éradiquer ce fléau, à voir l’absence de volonté politique à aller dans ce sens, alors que l’on remarque une certaine hésitation à prendre les mesures qui s’imposent - comme l’arrestation des trafiquants qui continuent à couper et à expédier du bois de rose en toute impunité. Les tergiversations du pouvoir seraient-elles liées à des conflits d’intérêts, comme on le murmure dans divers milieux ? Le décret portant création du Comité interministériel chargé de l’assainissement de la filière bois de rose et bois d’ébène n’a été adopté que lors du conseil des ministres du 24 juin dernier et, comme par coïncidence, juste à la veille de la 65ème session du comité permanent de la CITES, à Genève, au cours de laquelle le gouvernement malgache a présenté son plan d’action - qui fut rejeté. La stratégie arrêtée semble avoir été conçue dans la précipitation, pour n’évoquer que la pitoyable décision d’incinérer les rondins de bois de rose « pourris » et stockés dans des zones enclavées.
Or il existe suffisamment d’éléments objectifs qui permettraient d’ouvrir des enquêtes et d’engager des poursuites contre les « gros bonnets » (3).
(3) Rapport d’enquête sur le commerce mondial des bois précieux malgaches : bois de rose, ébène et palissandre, Global Witness et Environmental Investigation Agency, Inc. (Etats-Unis), octobre 2010.
Liberté d’expression
Tout démontre que le régime a du mal à se défaire des pratiques politiques des dernières décennies, en dépit des promesses d’insuffler le vent du changement dans la gestion des affaires du pays. Les critiques sont très mal tolérées et se voient assimilées à des oeuvres de déstabilisation.
Les journaux télévisés de la chaîne nationale se réduisent, le plus souvent, à un compte-rendu de l’agenda et des déplacements des dirigeants, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, ou des séminaires et des ateliers souvent soporifiques auxquels participent les présidents et membres d’institutions et la suppression de la revue de presse par la TVM confirme cette tendance.
Insécurité
Combattre l’insécurité est une des priorités du gouvernement.
Des efforts ont été consentis pour ne citer que l’opération « Coup d’arrêt » dans le Sud du pays. Mais bien que l’opération ait été étendue à d’autres régions, la situation est loin d’être maîtrisée, surtout que la mort de 89 dahalo serait le résultat d’exécutions sommaires plus que du rétablissement de l’ordre. Dans la région Melaky, la population est sur le qui-vive jour et nuit, à la merci de bandes organisées qui n’hésitent plus à tuer les chauffeurs pour dévaliser les taxis-brousse.
En zone urbaine, il suffit de se référer à la une des quotidiens pour prendre la mesure de l’insécurité.
Délestage
Tout au long de sa campagne et après sa prise de fonction, le chef de l’État a promis de mettre un terme aux délestages dans un délai de trois mois. Six mois se sont écoulés, mais les coupures d’électricité sont de plus en plus fréquentes, tant dans la capitale que dans les grandes villes de province.
Aquaculture
Le secteur de l’aquaculture de crevette, qui fut longtemps le premier pourvoyeur du devise du pays est totalement sinistré en raison de la maladie white spot. Or le ministre concerné n’a jamais soulevé ce problème. Opposition. On attend toujours la publication des décrets d’application de la loi sur le statut de l’opposition, dont l’urgence n’est pas à démontrer.
Un président pris à son propre piège
En voulant associer au gouvernement ceux qui l’ont soutenu tout comme ceux qui l’ont combattu lors de la dernière présidentielle, en optant pour une configuration qui fait place à tout le monde comme si le scrutin législatif n’avait aucune portée politique, le régime a initié une démarche qui porte en elle les germes de sa propre destruction. Les adversaires politiques d’hier auraient gagné à jouer le rôle d’une opposition constructive, car une démocratie consensuelle sans opposition structurée est une démocratie en péril. Il en résulte que le Président est entouré de courtisans. Les éternels opportunistes, qui ont émargé à tous
les régimes, sont toujours en quête d’honneurs et de privilèges. Les arrivistes qui, au gré des circonstances, ont réussi à se placer dans son premier cercle, goûtent aujourd’hui aux délices du pouvoir à des postes de haute responsabilité.
En misant ainsi sur les copains et les coquins, la République a les pieds et les poings liés. Et l’Histoire demeure un éternel recommencement. Le Président a fait une priorité de la lutte contre la corruption. Mais le BIANCO (Bureau indépendant anti-corruption), dont le Directeur général est nommé par le président de la République, pourrait-il un jour mener ses investigations au sommet du pouvoir ? Dans un autre domaine, on a évoqué, ces derniers jours, la déclaration périodique de patrimoine, à laquelle sont théoriquement soumis « certaines catégories de hautes personnalités et de hauts fonctionnaires » (loi 2004-030) et, selon l’article 41 de la Constitution, le Président de la République, le Premier Ministre et les Ministres, les députés et les sénateurs, et les membres de la Haute Cour Constitutionnelle. Mais à quoi bon tout ce tapage médiatique, sachant que ces déclarations sont interdites de publication ?
Cela revient à signifier au citoyen qu’il n’a rien à connaître de la fortune de ses dirigeants, même lorsque la rapidité et l’ampleur de certains enrichissements ne peuvent se justifier par un travail honnête et conforme aux exigences de la loi.
De même, la propension à faire profiter les membres de sa famille des avantages que donne le pouvoir contredit les meilleurs discours sur la transparence.
Qu’il s’agisse de la nomination de parents à des postes pour lesquels ils n’ont pas la compétence requise, ou de faire profiter des membres de sa grande famille de privilèges tels que des voyages à l’étranger, ce sont là autant d’actes répréhensibles de népotisme. Pour un responsable d’État, faire passer les intérêts familiaux ou ethniques avant ceux de la nation témoigne d’un manque total du sens de l’intérêt général. Ce fléau, reconnaissons-le, est profondément incrusté dans nos pratiques sociales, dans le secteur public comme dans le privé, et à tous les échelons de la hiérarchie. N’est-ce pas une raison suffisante pour que nos dirigeants soient irréprochables de ce point de vue, et donnent le bon exemple ?
Enfin, l’essentiel du pouvoir est concentré entre les mains des proches du Président qui constituent également le noyau du parti présidentiel HVM. Le ministre d’État chargé des Infrastructures, de l’Equipement et de l’Aménagement du Territoire, et le Directeur de Cabinet de la Présidence assurent la direction du parti, respectivement en tant que Président national et Secrétaire général. Siègent également au bureau national, entre autres, le Premier ministre, le ministre de l’Éducation nationale, ainsi que la plupart des conseillers du Président de la République. Et des personnalités appartenant au premier cercle du Président et du HVM ont récemment été nommées membres du Conseil d’administration de la compagnie nationale Air Madagascar. On le voit, la structure du gouvernement a été taillée à la mesure des ambitions électorales du HVM. Le parti hérite de super-départements ministériels qui vident certains ministères de leur contenu, ainsi que des ministères qui ont été des réservoirs politiques pour tous les régimes.
Bref, on continue à refaire les mêmes erreurs.
L’impasse dans laquelle se trouve à nouveau plongée la Grande Île est éthique plus encore que politique. Il serait vain de la réduire, une fois de plus, à de simples rivalités d’egos ou à des ambitions personnelles – même si ces dernières contribuent fortement à l’inefficacité et à la mise en cause du pouvoir. La résurgence des travers dénoncés sous les régimes précédents révèle un mal plus profond, qui tient aux mentalités. Changer les responsables ne suffit pas, les vraies solutions se situent au niveau de la conscience civique et du sens de l’État.
Antananarivo, 18 juillet 2014