Cette photo ne reflète aucunement la notion de séparation des pouvoirs. C'est plutôt l'image d'une complicité entre le judiciaire et l'exécutif, dans un régime censé être semi-parlementaire. Peut-on encore s'étonner de ces viols répétés de la Constitution de la IVème République de Madagascar, depuis un an ? Et le pire reste à venir...
Certes, Jean Eric Rakotoarisoa, actuel président de la Haute cour constitutionnelle (HCC) de Madagascar, est connu pour être un « spécialiste » de la loi fondamentale. Il est d’ailleurs professeur de droit constitutionnel et le premier non magistrat arrivé à la tête de cette institution censée être indépendante et respectueuse de la justice pour tous.
Cependant, sa décision truffée de considérations et d’arguments ressemblant à un écran de fumée pour en arriver à ce que la nomination de Jean Ravelonarivo, en tant que Premier ministre, soit « conforme à la constitution ». Et il a mis 19 jours pour la rédiger (ICI LE TEXTE COMPLET). Mais il y a spécialiste et spécialiste.
Ainsi, après la lecture de la longue décision n°12-HCC/D3 du 11 Février 2015, un juriste indépendant étranger (dans tous les termes du mot)-dont la démarche repose uniquement sur la séparation des pouvoirs et sur le respect stricto sensu des textes en vigueur, base de l'Etat de droit- s’est vu dans l’obligation d’apporter une analyse juridique que je porte, ci-après, à la connaissance de l’opinion publique. Cela prouve que Madagascar n’est pas un Etat de droit. Et cela, surtout, constituera une pièce de dossier lorsque viendra le moment où Jean Eric Rakotoarisoa devra comparaître devant le tribunal de l’Histoire. Pour haute trahison envers son pays et ses compatriotes, car il aura servi les intérêts d’un dirigeant qui, à ce moment-là ne sera plus président de la république.
Jeannot Ramambazafy
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Analyse de la décision n°12-HCC/D3 du 11 Février 2015 relative à une demande de constitutionnalité du décret n°2015-021 du 14 Janvier 2015 portant nomination du Premier Ministre, Chef du Gouvernement de Madagascar.
I- Le Président de la République ne peut être partie dans cette procédure contentieuse
Sur le fondement de l'article 118 alinéa 1 de la Constitution, des députés ont saisi la HCC par requête du 23 Janvier 2015 afin de contrôle de constitutionnalité du décret n°2015-021 du 14 Janvier 2015 portant nomination du nouveau Premier Ministre, et in fine pour l'annulation dudit décret car non conforme à l'article 54 alinéa 1 de la Constitution.
Ces députés à la base de la saisine argumentaient qu'il leur revenait le droit de proposer au Président de la République le nom du Premier Ministre conformément à l'article 54al1 de la Constitution en tant que groupes de partis majoritaires à l'Assemblée Nationale.
Ces députés considéraient que le Premier Ministre avait été proposé au Président de la République, par un groupe de partis politiques ne disposant pas de la majorité au sein de l'Assemblée Nationale.
De ce constat, il y a donc deux groupes de partis politiques constitués de députés élus à l'Assemblée Nationale qui revendiquent la majorité dans ladite Assemblée. Chacun de ces groupes politiques se considérant majoritaire dans cette Assemblée, et donc en droit de proposer au Président de la République le nom du Premier Ministre comme le prescrit l'article 54al1 de la Constitution.
C'est donc un contentieux pour la reconnaissance de la majorité à l'Assemblée Nationale à un groupe de partis politiques, dans le cas d'espèce cette majorité permettant au groupe de partis politiques reconnu en cette qualité de disposer de l'article 54 alinéa 1 de la Constitution.
Ce sont donc deux parties identifiées, à savoir : les deux groupes de partis politiques se considérant chacun comme détenteur de la majorité à l'Assemblée Nationale qui doivent, chacun de leur côté, présenter leur argumentaire par la production de mémoire devant la HCC. Et ce, dans le cadre de cette procédure contentieuse.
De cet exposé de faits, le Président de la République, Chef de l'Exécutif, comme toute institution dépendant de l'Exécutif ne peut être partie dans cette procédure contentieuse devant la HCC, procédure contentieuse de facto pour la reconnaissance de la majorité à l'Assemblée Nationale à un groupe de partis qui pourra donc se prévaloir des dispositions de l'article 54 alinéa 1 de la Constitution.
C'est une procédure contentieuse au sein du législatif.
II- De la déchéance des députés conformément à l'article 72 de la Constitution
Dans sa requête auprès de la HCC, en date du 23 Janvier 2015, les députés à la base de la saisine évoquaient la déchéance de certains députés.
De ces députés élus sous le nom d'un parti ou groupe de partis politiques, députés ne suivant pas les recommandations du parti ou groupe de partis politiques, lesdits députés ayant proposé la nomination du Général Ravelonarivo Jean, au poste de Premier Ministre.
La déchéance de ces députés évoquée dans la requête et se basant sur la constitution en son article 72 en ses alinéas 1 et 2 qui stipule: " Durant son mandat, le député ne peut, sous peine de déchéance, changer de groupe politique pour adhérer à un autre groupe, autre que celui au nom duquel il s'est fait élire. En cas d'infraction à l'alinéa précédent, la sanction est la déchéance qui est prononcée par la Haute Cour Constitutionnelle ".
Sur la déchéance des députés, évoquée par l'article 72 de la constitution, la HCC dans sa décision n°12-HCC/D3 répond en ces termes:
" Considérant que l'article 72 de la Constitution, afin de circonscrire toute tentative de " nomadisme politique" au sein de l'Assemblée Nationale, organise une obligation d'allégeance des députés à leur parti d'appartenance et met en place un dispositif de régulation des partis politiques dans le fonctionnement de l'Assemblée Nationale en sanctionnant de déchéance le député qui, durant son mandat," (change) de groupe politique pour adhérer à un nouveau groupe, autre que celui au nom duquel il s'est fait élire", de même que celui qui "(...) dévie de la ligne de conduite de son groupe parlementaire".
Considérant, cependant que ce dispositif n'est pas d'application immédiate, et encore moins automatique ni spontanée; que l'article 72 in fine prévoit une procédure autonome, avec ses caractères propres pour l'accomplissement de ses fonctions; que la dite procédure développée par les dispositions de l'article 29 de l'arrêté n°67-AN/P du 3 Mai 2014 portant Règlement intérieur de l'Assemblée Nationale a prévu que " la saisine de la Haute Cour Constitutionnelle aux fins de déchéance ne sera effectuée qu'après deux rappels à l'ordre adressés à l'endroit du député désobéissant par le Président de son groupe (parlementaire) ou parti d'appartenance "; que les effets qui procèdent de cette procédure ne peuvent, dès lors, être invoqués à bon droit, qu'à l'épuisement de sa mise en œuvre.
Cet arrêté n°67-AN/P du 3 Mai 2014 et en son article 29, n'a aucun lien avec la déchéance des députés tel que le prescrit l'article 72 de la Constitution.
La référence a cet arrêté est erronée.
Ledit arrêté n'est pas une disposition énoncée dans la constitution et ne détermine pas la déchéance des députés par la Haute Cour Constitutionnelle comme le prescrit la Constitution.
La déchéance des députés par la Haute Cour Constitutionnelle est une disposition constitutionnelle qui relève de l'article 72 alinéa l5 de la Constitution.
L'article72 Alinéa l5 de la Constitution dispose: " Le régime de déchéance et les règles d'éthique et de déontologie sont déterminés par la loi sur les partis et les réglementations en matière de financement des partis politiques ".
C'est donc la loi n°2011-012 du 9 Septembre 2011 relative aux partis politiques qui évoque la déchéance des députés par la Haute Cour Constitutionnelle.
La loi n°2011-012 du 9 Septembre 2011 relative aux partis politiques énonce en son article 25: " Sous peine de déchéance, tout titulaire de mandat public électif ne peut changer de parti autre que celui au nom duquel il s'est fait élire durant son mandat, sauf à siéger comme indépendant durant son mandat. Le député élu sans appartenance à un parti peut adhérer au groupe parlementaire de son choix au sein de l'Assemblée.
La déchéance est prononcée par la Haute Cour Constitutionnelle ".
C'est donc une disposition constitutionnelle en l'occurrence l'article72 alinéa l5 de la Constitution qui détermine la déchéance des députés par la Haute Cour Constitutionnelle à travers la loi n°2011-012 du 9 Septembre 2011 relative aux partis politiques en son article 25.
Par ailleurs, une autre disposition de la Constitution aborde la déchéance des députés par la Haute Cour Constitutionnelle à travers une loi organique et cette disposition constitutionnelle est l'article 88 alinéa 2 de la Constitution.
L'article 88 alinéa 2 de la Constitution dispose: " Outre les questions qui lui sont renvoyées par d'autres articles de la Constitution, relèvent d'une loi organique:
1° les règles ...................................................................................................................
2° les modalités de scrutin relatives à l'élection des députés, les conditions d'éligibilité, le régime d'incompatibilité et de déchéance, les règles de remplacement en cas de vacance, l'organisation et le fonctionnement de l'Assemblée Nationale; "Les dispositions relatives à l'article 88 alinéa 2 de la Constitution sont régies par la loi organique n°2012-016 relative aux premières élections législatives de la quatrième République, Loi organique du 1 Août 2012.
L'article 22 de ladite loi stipule. " Il est fait application des dispositions de l'article 72 de la Constitution pour député qui change de parti politique en cours de mandat.
Les mêmes dispositions sont également applicables pour les candidats sans parti politique devenus députés lorsqu'il dévie de la ligne conduite du groupe parlementaire auquel il s'affilie.
La déchéance est prononcée, dans tous les cas, par la Haute Cour Constitutionnelle à la requête soit du Président de l'Assemblée Nationale, soit de tout citoyen de la circonscription électorale concernée, soit de la Commission électorale Nationale Indépendante pour la Transition ou ses démembrements territoriaux ".
Il faut rappeler avec force que l'Arrêté n°67-AN/P du 3 Mai 2014 portant règlement intérieur de l'Assemblée Nationale n'a ni valeur de loi ni valeur de loi organique.
Recueillis par Jeannot Ramambazafy – 13 février 2015