Aujourd’hui, en hommage à Dadabe Tsiranana, premier Président de la Première République de Madagascar, je vous propose la transcription d’une interview effectuée le 16 décembre 1959, il y aura bientôt 61 ans, à Paris, sur la chaine d’alors, la RTF (Radiodiffusion Télévision française). Madagascar n’avait pas encore recouvré son Indépendance. Comme d’habitude, les actuels politocards malagasy déchus, déçus et décevants de tous bords ne vont pas tarder à y trouver « matière à réflexion » pour attaquer les tenants du pouvoir actuels. S’ils ne savent même plus ce que le mot « archives » veut dire, tant pis pour eux. Pour nous à « La Gazette de la Grande île » et sur madagate : « ny soratra mitoetra ». En tout cas, une nation qui n’a pas d’Histoire n’est pas une nation. Bonne lecture et bon week-end.
Question : Monsieur le Président, vous êtes venu à Paris aussitôt après le conseil exécutif de la Communauté, pour engager avec le gouvernement français, des conversations qui devraient aboutir à la mise au point d’un processus qui permettra à Madagascar d’obtenir son indépendance. J’aimerai que vous précisiez le contenu que vous entendez donner à ce mot « indépendance » puisque je ne pense pas que vous l’interprétiez dans son sens strict, étant donné que vous avez continué à bénéficier d’une aide matérielle et technique de la part de la France.
Philibert Tsiranana : Je dois vous faire deux réponses. Premièrement, je viens ici non pas pour faire tout de suite des pourparlers sur le transfert des compétences, çà je ne peux pas le faire, je suis tout seul. Vous voyez, je ne suis pas un dictateur, moi. Je viens seulement prendre contact, de faire des contacts préliminaires avec les hommes politiques français pour voir, justement, quand est-ce que je pourrai revenir avec une délégation de mon gouvernement. Vous voyez ? C’est la première réponse. La deuxième réponse, sur le mot « indépendance ». Comme vous le savez, je suis un partisan farouche de la Communauté. Je sais bien que dans ce monde dangereux, comme l’a dit le Général de Gaulle, être seul c’est dangereux. Alors, moi, j’entends par « indépendance » : avoir, comme l’a bien marqué le Général, des relations extérieures. Il a employé l’expression « souveraineté internationale ». Voilà le mot qu’il a employé. Pour moi, c’est çà . Avoir une souveraineté internationale car moi je ne suis pas pour la rupture, par exemple, avec la Communauté. Pour moi, la Communauté doit toujours exister car, depuis 1958, moi j’ai toujours dit : la chose qu’on doit mettre à la Communauté dépend de nous. La Communauté doit être élastique, souple… chacun y trouvera sa place, c’est-à -dire que tout le monde ne pourra pas y être à la même place. Vous voyez ? Ce qui veut dire que, pour moi, même si Madagascar est demain indépendant –employons ce mot-, la Communauté doit toujours continuer. Il faut que cette Communauté ait toujours un chef commun. Vous voyez ? Pour moi, ce n’est pas une espèce, comme disait le journaliste d’une communauté contractuelle. Je ne suis pas d’accord là -dessus. Pour moi, c’est une Communauté avec un chef commun que tout le monde choisira, pour bien marquer l’union. Mais cela n’empêche pas l’indépendance ! On peut être indépendants, être d’accord pour avoir un ensemble où il y aura un chef commun !
Question : Croyez-vous, précisément, Monsieur le Président, que tous vos partenaires au sein de la Communauté acceptent ce chef commun ?
Philibert Tsiranana : Je le crois puisque j’ai posé la question aux Maliens. Je leur ai dit : qu’est-ce que vous pensez de votre indépendance ? Moi, je leur ai dit : nous, Malgaches, notre indépendance c’est cette responsabilité internationale mais nous ne voulons pas rompre la Communauté ; nous ne voulons pas rompre aussi, par exemple, la tête de la Communauté, pour bien marquer l’union. Et Modibo Keita (Ndlr : Père de l’Indépendance du Mali), hier soir, me l’a bien promis. Il m’a dit : d’accord, Monsieur Tsiranana, nous aussi nous pensons comme çà . Vous voyez ?
Question : Monsieur le Président, en terminant, je voudrais vous poser une question qui, apparemment a l’air stupide : qu’est-ce qui pourrait se passer si la France, à son tour, demandait son indépendance ?
Philibert Tsiranana : si la France, à son tour, demandait son indépendance, quant à moi, je ne le souhaite pas. Quand c’est la France qui est le pilier de la Communauté, de cet ensemble, et je crois même que cette Communauté commence à avoir l’admiration du monde actuel, ce qui fait l’honneur de la France et de son chef, le Général de Gaulle. Alors si la France sort de la Communauté, c’est son droit bien entendu, mais ce serait regrettable. Nous aurions défait une œuvre que je trouve grandiose. Car, moi, comme je vous l’ai dit, je suis un partisan farouche de la Communauté./.
Pour rappel, Philibert Tsiranana a été élu premier Président de la République de Madagascar, le 1er mai 1959, à la suite d’un vote effectué par un Collège ayant compris les Conseillers provinciaux et les Délégués des communes de la Grande île. En lice ce jour-là , quatre candidats : Maurice Curmer, Basile Razafindrakoto, Prosper Rajoelson et Philibert Tsiranana. Celui-ci l’emporta avec 113 voix exprimées sur 114, contre une abstention. Le premier gouvernement constitutionnel entre en fonction le 14 mai 1959, mais l'indépendance n'est proclamée que le 26 juin 1960, après la négociation d'accords bilatéraux de coopération technique et culturelle. Et le Président Tsiranana adopta une politique de continuité avec la France…
A partir de 1967, le Chef de l’État malgache fait face à de nombreuses critiques, notamment sur sa politique trop francophile pratiquée depuis le retour de l’indépendance. Ainsi, de plus en plus de Malgaches sont convaincus que si l’indépendance politique est acquise, l’indépendance économique, elle, ne l’est pas. Le 30 janvier 1972, Philibert Tsiranana parvient à se faire réélire avec… 99% des voix exprimées. Lasse de n’avoir pu se faire entendre par la voie des urnes, l’opposition décide alors de faire pression à partir de la rue. La manifestation déclenchée par les étudiants en médecine d’Antananarivo fit tâche d’huile dans tout Madagascar et le régime Tsiranana chuta en mai 1972.
A l’époque, totalement dépassé par les évènements, le gouvernement fait arrêter, à l’université à Ankatso, 380 étudiants et sympathisants le soir du 12 mai. La situation devint alors incontrôlable le lendemain. Devant l’hôtel de ville d’Antananarivo, une grande manifestation de demande de libération (« Avoay ny namanay ! »), ayant réuni quelque 5.000 jeunes, se mua en insurrection contre le régime. Débordées, des membres des FRS (Forces républicaines de sécurité) tirent à balles réelles sur les manifestants. Le bilan officiel de cette tuerie du 13 mai 1972 est 26 morts, dont 7 parmi les forces de l’ordre, et plus de 200 blessés.
Le 18 mai 1972, après avoir donné l’ordre de libérer les manifestants détenus au pénitencier de Nosy Lava, le Président Tsiranana démissionne et confie les pleins pouvoirs au Général Ramanantsoa. Celui-ci, n’ayant pas réussi à mettre en accord les politiciens, dans la conduite des affaires de l’État, confie, à son tour, le pouvoir au Colonel Richard Ratsimandrava, le 5 février 1975. Le 11 février 1075, le Père des « Fokonolona » est assassiné à Ambohijatovo ambony. Comme pour Kennedy, la vérité n’est toujours pas au rendez-vous, à propos de cet assassinat politique, malgré des pistes sérieuses.
Le 12 février 1975, le Général Gilles Andriamahazo est nommé Président d’un Directoire Militaire. Puis, le 14 juin 1975, le capitaine de Corvette Didier Ratsiraka est alors nommé Chef d’État et Chef du gouvernement. La république démocratique de Madagascar est proclamée le 30 décembre 1975. La Grande île de l’océan Indien entre dans la Seconde République. La suite est une autre Histoire faites de tas d’autres histoires de transition… Le 16 avril 1978, Dadabe Philibert Tsiranana, le Père de L’Indépendance de Madagascar, décède à Antananarivo.
Le 14 octobre 2020, le Président Andry Rajoelina lui rend hommage en déposant une gerbe de fleurs sur son tombeau à Anahidrano. Entre ses deux chefs d’État malagasy de génération tout à fait différente, un lien solide, palpable et concret : « Asa fa tsy Kabary » (Acta non verba) mais littéralement : Travail et non discours. Oui, c’est le Président Philibert Tsiranana, avec son Parti social démocrate ou PSD qui en a la paternité. Et alors ? «Ny soa fianatsa», disent les Betsileo. C’est-à -dire que tout bon exemple est à suivre, à imiter, à améliorer. D’ici peu, Anahidrano, ce village hors du temps présent, sera électrifié.
Jeannot Ramambazafy