Dominique Razakarivao est un prêtre qui a dirigé, une vingtaine d’années durant, une ferme située à Antsahasoa à proximité de la ville d’Antsirabe. La spécificité en est qu’il s’agit d’une ferme-école. Qui dit école dit enfants (450 élèves recensés en 2011).
En ce début d’une ère quinquennale où le Président Andry Rajoelina entend que l’impunité ne soit pas un leitmotiv pour attardés mentaux, je m’en vais rappeler une affaire sordide de pédophilie qui a été révélée par notre confère Julien Coquet, dans le journal « La Nouvelle République » à Tours, France, en date du 11 juillet 2018. Son titre interrogatif m’a interpelé : « Des humanitaires abusés par un prêtre à Madagascar ? ». En fait, il y a abus et abus contre le prêtre Dominique Razakarivao. Notre propre enquête a donc été mise en branle avec quelques correspondants en France et en Italie.
Pour Julien Coquet, les abus portent principalement sur des détournements systématiques de conteneurs d’aide humanitaire comprenant du matériel et des vêtements, envoyés de Tours. Mais, au fil de temps, les langues se sont déliées et il est question de « relations charnelles avec des élèves, majeures et mineures. Les victimes seraient âgées de 13 à 15 ans ». Plus encore, « On parle de viols et d’abus sexuels répétés », révèle l’article. Ainsi, en avril 2018, une plainte a été déposée auprès du procureur de la République de Tours pour signaler des faits jugés délictuels. Il s’agissait de « porter à la connaissance du parquet, des faits de vols, de détournements d’objets et de biens ainsi que de subornation de témoins ».
Ce qu’il faut préciser, ici, est qu’en fait, les premières plaintes concernant ces viols ont été enregistrées par la justice malgache en 2007. Il y a 12 ans. Après donc une très profonde léthargie -un silence de cathédrale même-, l’Église catholique a semblé avoir réagi et, en mai 2018, les humanitaires tourangeaux sont informés par mail que le prêtre Dominique Razakarivao a été « démis de ses fonctions pour faute de gestion ». Certes, c’est mieux que rien car cela a permis d’éloigner ce pédophile des enfants de la ferme-école. En juillet 2018, toujours dans son article, Julien Coquet rapporte que « l’individu, depuis, a disparu des radars et ferait l’objet d’une procédure de défroquage (procédure qui marque, pour l’ecclésiastique, le retour à la vie civile). Contacté à plusieurs reprises, le supérieur général de la congrégation à Rome restait injoignable, hier (Ndlr : soit le 10 juillet 2018) ». Ce défroquage reste encore à être prouvé par l’ECAR (Église catholique romaine à Madagascar).
Neuf mois plus tard, le temps de faire un bébé, l’affaire en est toujours au point mort, en France comme à Madagascar. Pour bien comprendre la gravité des faits dont est accusé Dominique Razakarivao, il importe que connaître le sens de quelques mots et leurs sanctions vis-à-vis de la justice universelle. Ainsi de la pédophilie, d’abord. Tous les dictionnaires vous indiqueront que c’est « un trouble psychique caractérisé par l'attirance sexuelle persistante d'un adulte envers les enfants prépubères ». Elle existe dans tous les milieux socio-culturels. Un pédophile est donc une personne «qui ressent une attirance sexuelle pour les enfants» ou «qui recherche et pratique des relations sexuelles avec des enfants».
Ensuite, la pédophilie ne doit pas être confondue avec la pédérastie (du grec ancien παιδ- paid- «enfant mâle, garçon» et ἐραστής erastès «amant») qui est l’homosexualité masculine, la pratique sexuelle entre un homme et un jeune garçon. C’est de là que vient le mot pédé pour pédéraste. Cela expliqué, tournons-nous vers la loi française. Vous saurez pourquoi plus loin. L'attraction sexuelle pour un enfant ou un adolescent ne constitue pas un délit. Par contre, le passage à l'acte est un crime. Le Code pénal français punit l'«atteinte sexuelle», l'«agression sexuelle» et le «viol», avec circonstances aggravantes d'une part, «lorsque l'acte est commis sur un mineur de moins de 15 ans» (âge de la majorité sexuelle en France). Avant cet âge, la victime ne peut être considérée comme «consentante» (la relation sexuelle est donc d'emblée considérée comme un viol) ; et d'autre part «lorsque l'acte est commis par un ascendant ou toute personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait».
Quelle est la position de l’Église catholique vis-à-vis de la pédophilie ? Sachez qu’avant-hier lundi 18 février 2019, à l’issue d’une conférence de presse organisée à la salle de presse du Vatican, Peter Isely, cofondateur du réseau Ending clergy abuse (ECA), a résumé les attentes des victimes avant la rencontre sur la protection des mineurs à laquelle le pape François a convoqué les présidents de conférences épiscopales du monde à partir de demain jeudi 21 février 2019 au Vatican.« Le pape parle de tolérance zéro, il est temps de la mettre en œuvre ! Il faut que tout prêtre ou religieux qui viole un enfant soit renvoyé de l’état clérical. Il ne peut y avoir aucune tolérance pour ceux qui ont couvert ces actes. Les abuseurs doivent savoir que plus personne ne les couvrira et ceux qui l’ont fait, même s’ils coulent une retraite paisible, doivent aussi être renvoyés. Nous avons attendu trop longtemps ! Le pape doit passer une loi universelle obligeant de dénoncer à la police tout acte contre un enfant. Nous voulons qu’il use de son pouvoir et de son autorité ». Commentaire unanime: oui, bravo pour le Vatican qui œuvre vraiment pour faciliter le travail des journalistes ! Cependant, les victimes et leurs parents, eux, veulent s’assurer que la rencontre sur les abus sexuels ne restera pas une opération de communication.
Ainsi donc, les présidents de conférences épiscopales du monde entier sont attendus à Rome, du 21 au 24 février 2019, pour réfléchir à la prévention des abus sexuels sur les mineurs et les adultes vulnérables. Dans ce contexte, le 18 décembre 2018, le comité organisateur – composé de quatre proches du pape et experts sur le sujet – avait rendu publique une lettre adressée à tous les présidents de conférences épiscopales dont voici un extrait: « Nous exhortons chaque président de conférence épiscopale à contacter les victimes des abus sexuels commis par le clergé dans leurs pays respectifs et à leur rendre visite avant la réunion de Rome, pour entendre de leur bouche les souffrances qu’elles ont endurées ».
Revenons alors à Madagascar, à propos de l’ex-prêtre (jusqu’à preuve du contraire) Dominique Razakarisoa qui, aux dernières nouvelles, gambade quelque part dans le Nord de la Grande île. Une enquête étant en cours en France, je me vois obligé de ne révéler, ici, aucun nom, d’où l’utilisation d’initiales. A Tours, plusieurs personnes se sont regroupées à propos de ce problème qui les préoccupe depuis plus d’un an, à savoir «des viols et abus sexuels, sur mineures et majeures, commis par un prêtre malgache». Ainsi, déjà, elles ont déposé deux plaintes en France contre Dominique Razakarivao: l'une pour les viols et l'autre contre X car il y a aussi un volet détournement de biens destinés à la population et vendus par le prêtre à son profit. Il a ainsi accumulé une vraie fortune (maisons, terrains, véhicules...). Une dénonciation et des requêtes ont aussi été déposées en leur nom, à Antsirabe, par l'intermédiaire d'un avocat.
MJT ET MAS : « Il n'est pas aisé d'obtenir des témoignages car les victimes, par honte ou pour se protéger, ne veulent pas parler de leur malheur. Des enfants sont nés de ces relations forcées et les familles sont réticentes à dévoiler ces lourds secrets. Nous avons des noms, des coordonnées, mais tant que le prêtre sera libre, les langues ne se délieront pas. L'urgence est donc de localiser précisément l'auteur de ces crimes afin qu'il soit livré aux autorités compétentes ».
Et pour que cette affaire ne soit pas étouffée complètement -car l’immobilisme des autorités malgaches devient suspect, à croire que Dominique Razakarisoa bénéficie d’une protection quelque part en haut lieu (mais pas au Cieux, hein !)- ces personnes ont alerté les autorités religieuses à Madagascar, en France, au Vatican et, le 5 février 2019, ont écrit au Président Andry Rajoelina.
Retranscrits ci-après, des extraits de la lettre adressée à Monsieur le Président de la république de Madagascar et son épouse :
Saint-Cyr-sur-Loire le 5 février 2019
Loire France
Monsieur le Président de la République Malgache et Madame Mialy Rajoelina
Objet: viols et abus sexuels sur personnes vulnérables, plus jamais ça!
Monsieur le Président, Madame,
Votre élection suscite, à Madagascar et bien au-delà, un immense espoir. La population aspire à une vie meilleure mais elle a aussi soif de respect et de justice.
Depuis plus d'un an, avec un groupe d'amis, nous sommes confrontés à une situation où il est question d'aide humanitaire dévoyée, de détournements de marchandises, de viols et d'abus sexuels sur des jeunes filles mineures et majeures.
Le responsable est un prêtre malgache. Dominique Razakarivao. Il est membre de la Congrégation Notre-Dame de la Salette (maison mère à Grenoble en France) mais, en tant que prêtre missionnaire, il dépend de Rome. Il dirigeait une ferme d'élevage à Antsahasoa/Antsirabe et il était jusqu'en juin 2018 le prêtre référent de l'association Solidarité Madagascar Touraine basée à Tours.
Depuis vingt ans, cette association expédie chaque année un ou deux containers de marchandises diverses, et surtout de matériel à destination d'enfants qui bénéficient de parrainages scolaires.
(…) Tout ce qui a été envoyé de France - 23 containers au total - aurait dû profiter aux personnes les plus démunies. Ces marchandises n'ont hélas servi qu'à enrichir un prédateur sexuel et ses proches.
Ce prêtre utilisait aussi des marchandises diverses pour obtenir des faveurs sexuelles de gré ou de force, usant de son autorité pour arriver à ses fins. Les premiers viols qu'on nous a rapportés ont eu lieu il y a vingt ans environ et n'ont cessé jusqu'à aujourd'hui. Des enfants sont nés de ces viols et relations forcées.
Dominique Razakarivao vient d'être démis de toutes ses fonctions sacerdotales et ses méfaits ont été portés à la connaissance de la hiérarchie catholique, depuis novembre 2017: au Vatican, à Madagascar et en France. Vous pourrez consulter quelques-uns de nos courriers en pièces jointes. Apparemment, il n'y a pas eu de dépôt de plainte de l’Église.
Adhérents de l'association (…), nous nous sommes mobilisés pour que les victimes soient reconnues comme telles et que le prêtre réponde de ses actes devant la Justice.
Nous avons déposé deux plaintes au Tribunal de Tours. Une plainte pour viols et abus sexuels contre Dominique Razakarivao, une autre contre X pour détournements. Nous avons aussi, par l'intermédiaire d'un avocat malgache, déposé une dénonciation et des requêtes au Tribunal d'Antsirabe.
Nous sommes soulevés d'indignation face à de tels actes et espérons que, durant votre mandat, vous aurez à cœur de lutter pour que la population la plus fragile soit respectée et que les crimes que sont les viols soient punis, comme ils doivent l'être, quelle que soit la personne qui les commet.
Nous souhaitons, en outre, que vous preniez en compte ce cas particulier que nous vous avons exposé et que vous fassiez en sorte que rien n'entrave le cours de la Justice.
Nous vous présentons, Monsieur le Président, Madame, nos salutations les plus respectueuses et vous assurons de notre haute considération.
MMJT
Je ne sais pas où a été adressée et où a atterri cette lettre assez récente. Mais je pense que ce dossier finira par tomber sous les yeux de Mirana Rajaonah, Directrice des Affaires sociales et politique à la Présidence de Madagascar. Quant au dossier de témoignages, mon ami le ministre de la Justice, Jacques Randrianasolo, peut me contacter pour que je le lui transmette afin qu’il concrétise ses promesses d’impunité zéro dans tous les domaines et non pas seulement dans des affaires de « haute politique incorrecte des vainqueurs »... Et attention : stop aux arrestations spectaculaires avec condamnation avant tout procès !
Dossier de Jeannot Ramambazafy également publié dans « La Gazette de la Grande île » du mercredi 20 février 2019